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Horace, Odes III 29 | Quod adest memento

lundi 13 octobre 2014, par Danielle Carlès

Tyrrhénien descendant de rois, il y a pour toi
dans une jarre jamais encore renversée un vin doux,
puis la fleur, Mécène, des roses et une
huile de noix d’Afrique pour tes cheveux,
 
depuis longtemps chez moi : arrache-toi à ce qui te retient,
et cesse de n’avoir toujours sur l’humide Tibur, sur Éfula
et ses champs vallonnés qu’une vue de loin, et
sur les sommets du parricide Télégone.
 
Déserte le luxe fatigant et
la tour proche des abruptes nuées,
renonce à admirer, ville bienheureuse,
la fumée, l’opulence et le fracas de Rome.
 
À l’ordinaire, le changement profite aux riches
et, bien apprêté, sous l’humble Lare des gens simples,
un repas sans tentures et sans pourpre
parvient à dérider leur front soucieux.
 
Déjà s’éclairant, occultés, le père d’Andromède
dévoile ses feux, déjà Procyon entre en fureur
et l’étoile du Lion enragé,
tandis que le soleil ramène les jours de sècheresse,
 
déjà le berger l’ombre, avec son troupeau nonchalant,
et le ruisseau, fatigué, recherche, et de l’hirsute
Silvain les buissons, et privée se trouve
la rive muette de l’errance des vents.
 
Toi, du bon état de la cité
tu te préoccupes et pour la ville anxieux tu t’inquiètes
de ce que les Sères et, conquise par Cyrus,
Bactres, peuvent préparer, et le Tanaïs divisé.
 
Prudent, les voies du futur
sous une ténébreuse nuit les recouvre le Dieu,
et il rit, si un mortel au-delà
du permis trépigne. Au présent, souviens-toi, tu dois
 
te confronter, à égalité. Tout le reste est un fleuve,
comme lui suivant son cours, tantôt au milieu du lit
avec paix descendant l’Étrurie
vers la mer, tantôt pierres rongées,
 
souches emportées, bêtes, maisons
roulant pêle-mêle, avec des montagnes
la clameur et des forêts qui le touchent,
quand un incontrôlable déluge les plus calmes
 
rivières soulève. Celui-là maître de lui
et heureux vivra qui aura pu au jour le jour
dire : « J’ai vécu. Demain d’un sombre
nuage, Père, envahis le ciel
 
ou d’un soleil pur, qu’importe, cela en tout cas n’annulera
rien de ce qui est derrière, ne pourra ni
refaire, ni défaire
ce qu’en fuyant une fois l’heure a porté. »
 
La Fortune qui aime son commerce cruel et
joue son jeu capricieux avec constance
fait aller et venir ses précaires honneurs,
un jour pour moi, demain pour un autre généreuse.
 
Je lui rends gloire tant qu’elle est là. Si, hâtive, elle bat
des ailes, je résilie ce qu’elle m’avait donné, de ma
vertu je me drape et d’une honnête
pauvreté sans dot je fais mon but.
 
Cela ne me ressemble pas, si mugissait sous l’Africus
mon mât dans la tourmente, à de misérables prières
de me précipiter et par des vœux marchander
que mes cargaisons de Chypre et de Tyr
 
n’aillent pas grossir les richesses de la cupide mer.
À ce moment, un canot à deux rames pour protection,
sans danger à travers le tumulte égéen,
le souffle me mènera et le double Pollux.

◊ Les notes sont attachées au texte de la lecture avec le latin.

Lecture avec le texte latin

Tyrrhénien descendant de rois, il y a pour toi

Tyrrhena regum progenies, tibi

dans une jarre jamais encore renversée un vin doux,

non ante uerso lene merum cado

puis la fleur, Mécène, des roses et une

cum flore, Maecenas, rosarum et

huile de noix d’Afrique [1] pour tes cheveux,

pressa tuis balanus capillis

depuis longtemps chez moi : arrache-toi à ce qui te retient,

iamdudum apud me est : eripe te morae5

et cesse de n’avoir toujours sur l’humide Tibur, sur Éfula

nec semper udum Tibur et Aefulae

et ses champs vallonnés qu’une vue de loin, et

decliue contempleris aruom et

sur les sommets du parricide Télégone.

Telegoni iuga parricidae.

Déserte le luxe fatigant et

Fastidiosam desere copiam et

la tour proche des abruptes nuées,

molem propinquam nubibus arduis,10

renonce à admirer, ville bienheureuse,

omitte mirari beatae

la fumée, l’opulence et le fracas de Rome.

fumum et opes strepitumque Romae.

À l’ordinaire, le changement profite aux riches

Plerumque gratae diuitibus uices

et, bien apprêté, sous l’humble Lare des gens simples,

mundaeque paruo sub lare pauperum

un repas sans tentures et sans pourpre

cenae sine aulaeis et ostro15

parvient à dérider leur front soucieux.

sollicitam explicuere frontem.

Déjà s’éclairant, occultés, le père d’Andromède

Iam clarus occultum Andromedae pater

dévoile ses feux, déjà Procyon entre en fureur

ostendit ignem, iam Procyon furit

et l’étoile du Lion enragé,

et stella uesani Leonis

tandis que le soleil ramène les jours de sècheresse,

sole dies referente siccos ;20

déjà le berger l’ombre, avec son troupeau nonchalant,

iam pastor umbras cum grege languido

et le ruisseau, fatigué, recherche, et de l’hirsute

riuomque fessus quaerit et horridi

Silvain les buissons, et privée se trouve

dumeta Siluani caretque

la rive muette de l’errance des vents.

ripa uagis taciturna uentis.

Toi, du bon état de la cité

Tu ciuitatem quis deceat status25

tu te préoccupes et pour la ville anxieux tu t’inquiètes

curas et urbi sollicitus times

de ce que les Sères et, conquise par Cyrus,

quid Seres et regnata Cyro

Bactres, peuvent préparer, et le Tanaïs divisé.

Bactra parent Tanaisque discors.

Prudent, les voies du futur

Prudens futuri temporis exitum

sous une ténébreuse nuit les recouvre le Dieu [2]

caliginosa nocte premit deus30

et il rit, si un mortel au-delà

ridetque, si mortalis ultra

du permis trépigne. Au présent, souviens-toi, tu dois

fas trepidat. Quod adest memento

te confronter, à égalité. Tout le reste est un fleuve,

componere aequus ; cetera fluminis

comme lui suivant son cours, tantôt au milieu du lit

ritu feruntur, nunc medio alueo [3]

avec paix descendant l’Étrurie

cum pace delabentis Etruscum35

vers la mer, tantôt pierres rongées,

in mare, nunc lapides adesos

souches emportées, bêtes, maisons

stirpisque raptas et pecus et domos

roulant pêle-mêle, avec des montagnes

uoluentis una, non sine montium

la clameur et des forêts qui le touchent,

clamore uicinaeque siluae,

quand un incontrôlable déluge les plus calmes

cum fera diluuies quietos40

rivières soulève. Celui-là maître de lui

inritat amnis. Ille potens sui

et heureux vivra qui aura pu au jour le jour

laetusque deget cui licet in diem

dire : « J’ai vécu. Demain d’un sombre

dixisse : ’Vixi’ : cras uel atra

nuage, Père, envahis le ciel

nube polum Pater occupato

ou d’un soleil pur, qu’importe, cela en tout cas n’annulera

uel sole puro ; non tamen inritum,45

rien de ce qui est derrière, ne pourra ni

quodcumque retro est, efficiet neque

refaire, ni défaire

diffinget infectumque reddet

ce qu’en fuyant une fois l’heure a porté. » [4]

quod fugiens semel hora uexit.

La Fortune qui aime son commerce cruel et

Fortuna saeuo laeta negotio et

joue son jeu capricieux avec constance

ludum insolentem ludere pertinax50

fait aller et venir ses précaires honneurs,

transmutat incertos honores,

un jour pour moi, demain pour un autre généreuse.

nunc mihi, nunc alii benigna.

Je lui rends gloire tant qu’elle est là. Si, hâtive, elle bat

Laudo manentem ; si celeris quatit

des ailes, je résilie ce qu’elle m’avait donné, de ma

pinnas, resigno quae dedit et mea

uirtute me inuoluo probamque55

vertu je me drape et d’une honnête

pauperiem sine dote quaero.

pauvreté sans dot je fais mon but.

Cela ne me ressemble pas, si mugissait sous l’Africus

Non est meum, si mugiat Africis

mon mât dans la tourmente, à de misérables prières

malus procellis, ad miseras preces

de me précipiter et par des vœux marchander

decurrere et uotis pacisci,

que mes cargaisons de Chypre et de Tyr

ne Cypriae Tyriaeque merces60

n’aillent pas grossir les richesses de la cupide mer.

addant auaro diuitias mari ;

À ce moment, un canot à deux rames pour protection,

tunc me biremis praesidio scaphae

tutum per Aegaeos tumultus

sans danger à travers le tumulte égéen,

aura feret geminusque Pollux.

le souffle me mènera et le double Pollux.


[1J’ai renoncé à traduire balanus par "huile de Ben" ou autre. Il aurait de toute manière fallu une note pour dire ce que c’est que l’huile de Ben ou de Béhen (que je ne connaissais pas avant). C’est, d’après ce que je lis, une huile très appréciable pour la consommation et en cosmétique, qui s’utilisait dans toute l’antiquité sous le nom de myrobalanum. Je lis aussi que l’arbrisseau qui fournit les noix pousse dans les régions tropicales, en particulier en Afrique. Il me semble que dans l’économie du poème, c’est l’information importante, qui mérite d’être retenue pour la traduction : cela jette un éclairage sur le genre de "pauvreté" (vers 13-16) qu’Horace recommande à Mécène, pour se délasser de son luxe fatigant. Passe pour le vin vieux, produit sur place, mais l’huile est d’importation. On ne peut inviter Mécène avec un plat de lentille. Tout est question d’échelle. J’en profite pour dire que la tour molem du vers 10 fait référence à la demeure que celui-ci avait fait construire sur l’Esquilin (voir Horace, Épodes 9 | La victoire de César et Horace, Satires I 8 | Priape et les sorcières). De la tour qui s’y élevait (Turris Maecenatiana) il pouvait apercevoir Tibur (vers 6-8). C’est de là, dit Suétone dans la Vie de Néron, que celui-ci contempla l’incendie de Rome. Comme on le voit, l’ode inscrit des détails précis et réalistes.

[2De même que "le Père", "le Dieu" désigne Jupiter, suprême instance divine, météorologique et seul sachant le destin. D’où la majuscule. Pas "un dieu" quelconque, ni "une divinité" (providentielle), ni bien sûr "Dieu". Le passage offre au lecteur ce qu’il veut y trouver, selon en particulier qu’on entend Prudens sur un mode ironique ou pas. Au premier degré, Horace serait stoïcien... (et même !!! ou ??? voire !? si je n’avais peur du ridicule)

[3Je retiens la leçon medio alueo à la différence de F. Villeneuve (C.U.F.) qui choisit medio aequore.

[4Tout le monde n’est pas d’accord sur le moment où il convient de fermer les guillemets ouverts devant "J’ai vécu."

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