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Horace, Satires I 8 | Priape et les sorcières

mardi 3 janvier 2012, par Danielle Carlès

Autrefois j’étais le tronc d’un figuier, du bois sans intérêt. Et puis un artisan, après avoir hésité à faire un escabeau ou un Priape, décida que c’était le dieu. Et donc je suis dieu. Je suis l’épouvantail le plus redouté des oiseaux et des voleurs : mon bras droit coupe l’envie de voler, et aussi le pieu rouge dressé avec obscénité à mon entrejambe, mais les oiseaux indésirables, c’est plutôt la canne que je porte sur le haut de la tête qui les effraie et les empêche de se poser dans ces jardins tout neufs. (1-7)

L’endroit où je me trouve, c’est là qu’auparavant on faisait transporter par des compagnons de misère les cadavres tirés de leurs pauvres petites chambres, jetés dans un mauvais cercueil, c’est là que se trouvait le cimetière commun de tous les démunis, comme ce parasite de Pantolabus ou ce vaurien de Nomentanus. Mille pieds de large, trois cents pieds de long vers la campagne, c’était écrit sur un cippe qui leur en assignait la propriété avec la mention H.M.H.N.S. : "interdiction aux héritiers de s’adjuger le monument". [1] (8-13)

Mais maintenant les Esquilies sont tout à fait salubres, on peut y habiter et se promener au soleil sur les remparts, là où, il n’y a pas si longtemps, la vue, bien triste, portait sur un champ affreux à cause des ossements blanchis. (14-16)

A vrai dire, je n’ai pas tant de souci et de travail avec les voleurs et les animaux qui dérangent habituellement le calme des lieux qu’avec ces femmes qui se servent d’incantations et de philtres pour bouleverser les âmes des humains. Celles-là pas moyen de s’en débarrasser et d’empêcher qu’elles viennent ramasser des os et des herbes nuisibles, par les nuits où la lune vagabonde montre son beau visage. (20-22)

J’ai vu de mes yeux Canidia marcher pieds nus, un manteau noir resserré autour d’elle, les cheveux en désordre, hurler avec Sagana la vieille, pâles toutes les deux à faire peur. Elles se sont mises à gratter la terre de leurs ongles, à déchirer une agnelle noire avec leurs dents. Elles ont fait couler le sang dans la fosse pour y attirer les esprits des morts, pour avoir des réponses. Il y avait une figurine en laine, une autre en cire. La plus grande, en laine, c’était pour infliger une punition à la plus petite. Celle en cire suppliait, elle était déjà en train de mourir, d’une mort pour les esclaves. (23-33)

L’une des sorcières invoque Hécate, l’autre la cruelle Tisiphone. Et tu aurais vu les serpents passer, et les chiens de l’enfer, et la lune se mettre à rougir, et se cacher derrière les tombeaux surélevés pour ne pas être témoin de ces horreurs. Si je mens si peu que ce soit, que ma tête subisse la souillure d’une merde blanche lâchée par les corbeaux ! que viennent pisser et chier sur moi Julius, et cette folle de Pédiatus, et Voranus le voleur ! (33-39)

Besoin de rapporter les détails ? Les ombres prenant la parole, en alternance avec Sagana, dans un murmure triste et aigu, la barbe de loup qu’elles ont fait disparaître d’un coup sous terre, avec la dent d’une couleuvre irisée, la figure de cire enflammée, jetant une grande lueur et moi qui me venge de la peur qui me hérisse, témoin des paroles et des actes de ces deux furies. Car voici qu’avec le bruit d’une vessie qui explose, j’ai pété de mon derrière fendu en bois de figuier. Et là il fallait les voir courir vers la ville, et Canidia en perdre son dentier, Sagana son chignon postiche, les herbes et les bandelettes magiques leur tomber des bras ! Tu aurais bien ri, cela t’aurait bien amusé ! [2] (40-50)


[1Les latins n’avaient pas l’habitude, comme nous le faisons, de donner à la plus grande dimension le nom de "longueur", à la plus petite celui de "largeur". La surface du cimetière est de 1000 pieds "de large" (en suivant la route, en face de la route) et de 300 pieds "de long" (depuis la route en allant vers la campagne). Le cippe, c’est-à-dire la borne, signalait la propriété, avec ses limites.

[2Confrontation entre un petit dieu très rustique, normalement dévolu à la protection des pâtures et des troupeaux, dont toute la personnalité réside dans son érection, et des divinités féminines redoutables et raffinées, en relation avec le monde des morts.

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