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Virgile, Énéide V, 827-871 | Palinure

samedi 17 septembre 2022, par Danielle Carlès

Au même moment inonde à son tour l’esprit anxieux d’Énée Père

une joie pleine de douceur. Vite, il ordonne

de dresser tous les mâts, d’enverguer les voiles.

Ensemble tous manoeuvrèrent l’écoute et déplièrent la toile, à gauche830

puis à droite. Ensemble ils brassent les cornes relevées

puis laissent filer. Les souffles favorables emportent la flotte.

En tête, devant tous les autres, Palinure menait l’escadre

regroupée. Les autres ont la consigne de régler leur course sur lui.

Et déjà la Nuit humide avait presque atteint la borne du milieu835

du ciel, les marins relâchaient leurs membres en un paisible repos,

étendus sous les rames parmi les sièges durs,

quand, léger, le Sommeil, glissant du haut des astres éthérés,

écarta les ténèbres et repoussa les ombres.

C’est toi, Palinure, qu’il cherche, il vient t’apporter de funestes songes,840

tout innocent que tu es. Le dieu s’assit en haut de la poupe,

ressemblant à Phorbas, et il répand de sa bouche ces paroles :

"Palinure, fils d’Iasius, les eaux d’elles-mêmes emportent la flotte,

les brises sont bien établies, une heure s’offre à nous pour le repos.

Pose ta tête et dérobe un instant à ta tâche tes yeux fatigués.845

Je vais un petit moment te remplacer à ton poste."

Palinure, levant à peine les yeux, lui répond :

"Tu me dis, à moi, que le visage de cette mer paisible avec ses flots tranquilles,

je dois l’ignorer, que je dois faire confiance à cette étrangeté ?

Je devrais confier Énée, n’est-ce pas, aux brises trompeuses850

et au ciel, moi tant de fois déçu par le mensonge du beau temps ?

En prononçant ces mots, attaché à la barre, solidement fixé, il ne la lâchait

pas d’un pouce et gardait ses yeux sur les astres.

Mais voici que le dieu agite un rameau imprégné de la rosée du Léthée

et ensommeillé par la vertu du Styx sur l’une puis l’autre855

de ses tempes. L’homme hésite, ses yeux défaillent et le dieu les endort.

À peine ce repos par surprise avait-il commencé à relâcher ses membres

que, plongeant sur lui, avec une partie de la poupe qu’il arrache

et avec le gouvernail, il le projeta dans les ondes limpides,

la tête la première, appelant maintes fois en vain ses compagnons.860

Lui-même s’envola, il s’éleva sur ses ailes vers les airs imperceptibles.

La flotte n’en poursuit pas moins sa route en sûreté sur les eaux,

sans crainte elle va, comme Neptune Père l’a promis.

Et déjà elle arrivait aux approches des écueils des Sirènes,

jadis périlleux et blancs des os de beaucoup d’hommes,865

et le bruit rauque des rochers sans relâche sous le flot résonnait au loin,

quand le Père sentit que le bateau sans pilote allait à la dérive

et lui-même le dirigea sur les ondes noctures

avec de grands gémissements, l’âme secouée par le malheur de son ami :

"Ô toi qui fus trop confiant dans le calme du ciel et de la mer,870

nu sur un sable ignoré, ô Palinure, tu vas reposer."

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