Accueil > Traductions > Latin > Virgile > Enéide > Enéide Livre II > Virgile, Énéide II v. 671-729 | L’enfant prodigieux

Virgile, Énéide II v. 671-729 | L’enfant prodigieux

vendredi 23 août 2013, par Danielle Carlès

Puis je remets mon épée à la ceinture. Je passais mon bras gauche

dans le bouclier et l’attachais, et j’allais pour sortir de la maison.

Mais sur le seuil, embrassant mes pieds, ma femme,

sans me lâcher, tendait à son père le petit Iule :

[675] « Si tu pars pour mourir, nous aussi, prends-nous avec toi, pour tout !

Mais si tu places un espoir raisonnable dans les armes que tu as revêtues,

d’abord protège ta maison ! À qui le petit Iule est-il laissé ?

à qui ton père ? et moi, l’épouse qu’un jour on a dit tienne, à qui ? »

Son cri, sa plainte remplissait toute la demeure,

[680] quand s’accomplit tout à coup un incroyable prodige.

Car voici qu’entre les mains et sous les yeux de ses parents accablés,

voici qu’apparaît sur le sommet du crâne de Iule

une aigrette légère jetant de la lumière, et qu’une flamme sans brûlure

lèche sa souple chevelure, vient lui manger les tempes.

[685] Nous, saisis d’épouvante, nous nous démenons, cherchant à secouer

les cheveux enflammés, à éteindre avec de l’eau un feu incorruptible.

Mais mon père Anchise, avec une expression de joie, vers les astres

leva les yeux et tendit ses mains au ciel en prononçant ces mots :

« Jupiter tout puissant, si tu peux être fléchi par des prières,

[690] regarde vers nous, simplement cela, et, si notre piété le mérite,

accorde-nous ensuite ton aide, Père, et confirme ce signe. »

À peine le vieil homme avait-il fini de parler qu’un fracas soudain

se fit entendre sur la gauche, et il glissa d’en haut du ciel à travers l’ombre

une étoile avec une traîne de feu, produisant dans sa course une grande lumière.

[695] Nous la voyons distinctement passer par-dessus les toits les plus hauts

pour aller enfouir sa clarté dans les forêts de l’Ida

désignant ainsi la route. Puis la trace de son sillage un long moment

illumine les lointains, tandis qu’alentour monte une odeur de soufre.

Alors mon père, convaincu, se lève en direction des effluves,

[700] s’adresse aux dieux et adore l’étoile sainte :

« À présent plus de retard ! Je vous suis là où vous me guidez, me voilà,

Dieux de mes pères ! Préservez ma maison, préservez mon petit-fils !

Ce présage vient de vous, Troie est en votre vouloir.

Oui, je me rends ! Mon fils, je ne refuse plus de t’accompagner. »

[705] Il avait fini de parler, et à travers les murs le feu plus distinctement

se fait entendre, et l’incendie se rapproche en tourbillons de chaleur.

« Puisque c’est ainsi, allons, père chéri, place-toi sur mon cou.

Je te porterai sur mes épaules et cet effort ne me pèsera pas.

Quoi qu’il arrive, il n’y aura qu’un seul et même danger commun,

[710] qu’un seul salut pour tous les deux. Que le petit Iule

marche à côté de moi, et plus loin, restant bien sur nos pas, mon épouse.

Vous, amis, soyez très attentifs à ce que je vais dire :

il y a quand on sort de la ville un tertre et un vieux temple

de Cérès, dans un endroit désert, que jouxte un antique cyprès

[715] conservé tout au long du temps par la dévotion de nos pères.

Venons nous retrouver là par des chemins différents.

Toi, père, prends dans ta main nos objets sacrés, les Pénates de notre famille,

car pour moi, à peine sorti d’une telle guerre et de ses massacres,

les toucher est interdit, tant que dans un courant d’eau vive

[720] je ne me serai pas purifié. »

Ayant ainsi parlé, je mets sur mes larges épaules et mon cou baissé

comme couverture la peau d’un lion fauve,

et je me charge de mon fardeau. Le petit Iule a pris ma main droite

et il suit son père de son propre pas, différent.

[725] À l’arrière vient ma femme. Nous avançons dans les ténèbres.

Et moi que rien ne troublait il y a peu, ni les traits dirigés contre moi,

ni les bataillons de Grecs détachés de l’armée ennemie,

maintenant le moindre souffle m’effraye, le moindre son excite mon inquiétude

et ma peur, tant pour celui qui marche avec moi que celui que je porte.


Lecture avec le texte latin

Puis je remets mon épée à la ceinture. Je passais mon bras gauche

Hinc ferro accingor rursus clipeoque sinistram

dans le bouclier et l’attachais, et j’allais pour sortir de la maison.

insertabam aptans, meque extra tecta ferebam.

Mais sur le seuil, embrassant mes pieds, ma femme,

Ecce autem complexa pedes in limine coniunx

sans me lâcher, tendait à son père le petit Iule :

haerebat, paruumque patri tendebat Iulum :

« Si tu pars pour mourir, nous aussi, prends-nous avec toi, pour tout !

675 ’Si periturus abis, et nos rape in omnia tecum ;

Mais si tu places un espoir raisonnable dans les armes que tu as revêtues,

sin aliquam expertus sumptis spem ponis in armis,

d’abord protège ta maison ! À qui le petit Iule est-il laissé ?

hanc primum tutare domum. Cui paruus Iulus,

à qui ton père ? et moi, l’épouse qu’un jour on a dit tienne, à qui ? »

cui pater et coniunx quondam tua dicta relinquor ?’

Son cri, sa plainte remplissait toute la demeure,

Talia uociferans gemitu tectum omne replebat,

quand s’accomplit tout à coup un incroyable prodige.

680 cum subitum dictuque oritur mirabile monstrum.

Car voici qu’entre les mains et sous les yeux de ses parents accablés,

Namque manus inter maestorumque ora parentum

voici qu’apparaît sur le sommet du crâne de Iule

ecce leuis summo de uertice uisus Iuli

une aigrette légère jetant de la lumière, et qu’une flamme sans brûlure

fundere lumen apex, tactuque innoxia mollis

lèche sa souple chevelure, vient lui manger les tempes.

lambere flamma comas et circum tempora pasci.

Nous, saisis d’épouvante, nous nous démenons, cherchant à secouer

685 Nos pauidi trepidare metu, crinemque flagrantem

les cheveux enflammés, à éteindre avec de l’eau un feu incorruptible.

excutere et sanctos restinguere fontibus ignis.

Mais mon père Anchise, avec une expression de joie, vers les astres

At pater Anchises oculos ad sidera laetus

leva les yeux et tendit ses mains au ciel en prononçant ces mots :

extulit, et caelo palmas cum uoce tetendit :

« Jupiter tout puissant, si tu peux être fléchi par des prières,

’Iuppiter omnipotens, precibus si flecteris ullis,

regarde vers nous, simplement cela, et, si notre piété le mérite,

690 aspice nos ; hoc tantum, et, si pietate meremur,

accorde-nous ensuite ton aide, Père, et confirme ce signe. »

da deinde auxilium, pater, atque haec omina firma.’

À peine le vieil homme avait-il fini de parler qu’un fracas soudain

Vix ea fatus erat senior, subitoque fragore

se fit entendre sur la gauche, et il glissa d’en haut du ciel à travers l’ombre

intonuit laeuum, et de caelo lapsa per umbras

une étoile avec une traîne de feu, produisant dans sa course une grande lumière.

stella facem ducens multa cum luce cucurrit.

Nous la voyons distinctement passer par-dessus les toits les plus hauts

695 Illam, summa super labentem culmina tecti,

pour aller enfouir sa clarté dans les forêts de l’Ida,

cernimus Idaea claram se condere silua

désignant ainsi la route. Puis la trace de son sillage un long moment

signantemque uias ; tum longo limite sulcus

illumine les lointains, tandis qu’alentour monte une odeur de soufre.

dat lucem, et late circum loca sulphure fumant.

Alors mon père, convaincu, se lève en direction des effluves,

Hic uero uictus genitor se tollit ad auras,

s’adresse aux dieux et adore l’étoile sainte :

700 adfaturque deos et sanctum sidus adorat.

« À présent plus de retard ! Je vous suis là où vous me guidez, me voilà,

’Iam iam nulla mora est ; sequor et qua ducitis adsum.

Dieux de mes pères ! Préservez ma maison, préservez mon petit-fils !

Di patrii, seruate domum, seruate nepotem.

Ce présage vient de vous, Troie est en votre vouloir.

Vestrum hoc augurium, uestroque in numine Troia est.

Oui, je me rends ! Mon fils, je ne refuse plus de t’accompagner. »

Cedo equidem, nec, nate, tibi comes ire recuso.’

Il avait fini de parler, et à travers les murs le feu plus distinctement

705 Dixerat ille ; et iam per moenia clarior ignis

se fait entendre, et l’incendie se rapproche en tourbillons de chaleur.

auditur, propiusque aestus incendia uoluunt.

« Puisque c’est ainsi, allons, père chéri, place-toi sur mon cou.

’Ergo age, care pater, ceruici imponere nostrae ;

Je te porterai sur mes épaules et cet effort ne me pèsera pas.

ipse subibo umeris, nec me labor iste grauabit :

Quoi qu’il arrive, il n’y aura qu’un seul et même danger commun,

quo res cumque cadent, unum et commune periclum,

qu’un seul salut pour tous les deux. Que le petit Iule

710 una salus ambobus erit. Mihi paruus Iulus

marche à côté de moi, et plus loin, restant bien sur nos pas, mon épouse.

sit comes, et longe seruet uestigia coniunx :

Vous, amis, soyez très attentifs à ce que je vais dire :

uos, famuli, quae dicam, animis aduertite uestris.

il y a quand on sort de la ville un tertre et un vieux temple

Est urbe egressis tumulus templumque uetustum

de Cérès, dans un endroit désert, que jouxte un antique cyprès

desertae Cereris, iuxtaque antiqua cupressus

conservé tout au long du temps par la dévotion de nos pères.

715 religione patrum multos seruata per annos.

Venons nous retrouver là par des chemins différents

Hanc ex diuerso sedem ueniemus in unam.

Toi, père, prends dans ta main nos objets sacrés, les Pénates de notre famille,

Tu, genitor, cape sacra manu patriosque Penatis ;

car pour moi, à peine sorti d’une telle guerre et de ses massacres,

me, bello e tanto digressum et caede recenti,

les toucher est interdit, tant que dans un courant d’eau vive

attrectare nefas, donec me flumine uiuo

je ne me serai pas purifié. »

720 abluero.’

Ayant ainsi parlé, je mets sur mes larges épaules et mon cou baissé

Haec fatus, latos umeros subiectaque colla

comme couverture la peau d’un lion fauve,

ueste super fuluique insternor pelle leonis,

et je me charge de mon fardeau. Le petit Iule a pris ma main droite

succedoque oneri ; dextrae se paruus Iulus

et il suit son père de son propre pas, différent.

implicuit sequiturque patrem non passibus aequis ;

À l’arrière vient ma femme. Nous avançons dans les ténèbres.

725 pone subit coniunx : ferimur per opaca locorum ;

Et moi que rien ne troublait il y a peu, ni les traits dirigés contre moi,

et me, quem dudum non ulla iniecta mouebant

ni les bataillons de Grecs détachés de l’armée ennemie,

tela neque aduerso glomerati ex agmine Grai,

maintenant le moindre souffle m’effraye, le moindre son excite mon inquiétude

nunc omnes terrent aurae, sonus excitat omnis

et ma peur, tant pour celui qui marche avec moi que pour celui que je porte.

suspensum et pariter comitique onerique timentem.

Messages

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.