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Virgile, Énéide II v. 588-623 | Vénus en majesté
jeudi 6 juin 2013, par
Telles étaient les pensées où je me débattais et je m’avançais avec fureur,
quand pour moi, elle, dans une clarté comme jamais auparavant à mes yeux, bien visible
[590] elle se montra et resplendit à travers la nuit d’une pure lumière,
ma douce mère, s’avouant déesse, telle que la voient
les habitants du ciel, dans sa majesté, et elle me prit par la main,
elle me retint, puis ajouta ces mots de sa bouche de rose :
« Mon fils, quel terrible ressentiment éveille cette colère sauvage ?
[595] À quoi bon cette fureur ? Où est passée ton attention pour nous ?
N’iras-tu pas d’abord regarder à l’endroit où tu as laissé ton père affaibli par l’âge,
Anchise ? voir si ton épouse Créuse est encore vivante,
et ton enfant Ascagne ? Car toutes les armées grecques et venues de partout,
battent les alentours, et si je ne mettais mon propre soin à les retenir,
[600] déjà les flammes les auraient emportés, une épée ennemie les aurait achevés.
Ce n’est pas, comme tu le crois, la beauté haïe de la Tyndaride laconienne
ou la faute de Pâris, mais la dureté des dieux, oui, des dieux,
qui renverse une telle puissance, qui jette Troie à terre du haut de sa hauteur.
Regarde ! Ce nuage pour l’instant répandu devant tes yeux et
[605] qui obscurcit ta vision de mortel, ce brouillard qui s’épaissit
autour de toi, je vais l’ôter entièrement. Toi, ne crains pas de faire
ce que ta mère t’ordonne, ne refuse pas de suivre ses instructions.
Ici où tu vois des blocs renversés, des pierres arrachées
aux pierres et une fumée tourbillonnante mêlée de poussière,
[610] c’est Neptune. Il ébranle les murs avec son grand trident,
ébranle les fondations, les secoue et détruit la ville depuis ses assises.
Là c’est Junon au comble de sa rage, elle tient les portes Scées
en première ligne et appelle furieusement l’armée des alliés
à descendre des navires, ceinte de fer.
[615] Déjà au sommet de la citadelle la Tritonienne, regarde ! déjà Pallas
a pris position, nimbée des éclairs qui partent d’elle et de la Gorgone enragée.
Le Père lui-même soutient le courage et les forces propices aux Danaens,
lui-même il anime les dieux contre les armes dardaniennes.
Prends la fuite, mon fils, et mets fin à cette épreuve.
[620] Nulle part je ne serai loin de toi et je te déposerai en sûreté à ton seuil ancestral. »
Elle avait fini de parler et elle s’enfonça dans les ombres denses de la nuit.
Se révèlent à moi les funestes apparitions, les ennemis de Troie,
les puissances supérieures des dieux.
Lecture avec le texte latin
Telles étaient les pensées où je me débattais et je m’avançais avec fureur,
Talia iactabam, et furiata mente ferebar :
quand pour moi, elle, dans une clarté comme jamais auparavant à mes yeux, bien visible [1]
cum mihi se, non ante oculis tam clara, uidendam
[590] elle se montra et resplendit à travers la nuit d’une pure lumière,
590 obtulit et pura per noctem in luce refulsit
ma douce mère, s’avouant déesse, telle que la voient
alma parens, confessa deam, qualisque uideri
les habitants du ciel, dans sa majesté, et elle me prit par la main,
caelicolis et quanta solet, dextraque prehensum
elle me retint, puis ajouta ces mots de sa bouche de rose :
continuit, roseoque haec insuper addidit ore :
« Mon fils, quel terrible ressentiment éveille cette colère sauvage ?
’Nate, quis indomitas tantus dolor excitat iras ?
[595] À quoi bon cette fureur ? Où est passée ton attention pour nous ?
595 Quid furis, aut quonam nostri tibi cura recessit ?
N’iras-tu pas d’abord regarder à l’endroit où tu as laissé ton père affaibli par l’âge,
Non prius aspicies, ubi fessum aetate parentem
Anchise ? voir si ton épouse Créuse est encore vivante,
liqueris Anchisen ; superet coniunxne Creusa,
et ton enfant Ascagne ? Car toutes les armées grecques et venues de partout,
Ascaniusque puer ? Quos omnes undique Graiae
battent les alentours, et si je ne mettais mon propre soin à les retenir,
circum errant acies, et, ni mea cura resistat,
[600] déjà les flammes les auraient emportés, une épée ennemie les aurait achevés.
600 iam flammae tulerint inimicus et hauserit ensis.
Ce n’est pas, comme tu le crois, la beauté haïe de la Tyndaride laconienne
Non tibi Tyndaridis facies inuisa Lacaenae
ou la faute de Pâris, mais la dureté des dieux, oui, des dieux,
culpatusue Paris : diuom inclementia, diuom,
qui renverse une telle puissance, qui jette Troie à terre du haut de sa hauteur.
has euertit opes sternitque a culmine Troiam.
Regarde ! Ce nuage pour l’instant répandu devant tes yeux et
Aspice — namque omnem, quae nunc obducta tuenti
[605] qui obscurcit ta vision de mortel, ce brouillard qui s’épaissit
605 mortalis hebetat uisus tibi et umida circum
autour de toi, je vais l’ôter entièrement. Toi, ne crains pas de faire
caligat, nubem eripiam ; tu ne qua parentis
ce que ta mère t’ordonne, ne refuse pas de suivre ses instructions.
iussa time, neu praeceptis parere recusa : —
Ici où tu vois des blocs renversés, des pierres arrachées
hic, ubi disiectas moles auolsaque saxis
aux pierres et une fumée tourbillonnante mêlée de poussière,
saxa uides mixtoque undantem puluere fumum.
[610] c’est Neptune. Il ébranle les murs avec son grand trident,
610 Neptunus muros magnoque emota tridenti
ébranle les fondations, les secoue et détruit la ville depuis ses assises.
fundamenta quatit, totamque a sedibus urbem
Là c’est Junon au comble de sa rage, elle tient les portes Scées
eruit ; hic Iuno Scaeas saeuissima portas
en première ligne et appelle furieusement l’armée des alliés
prima tenet, sociumque furens a nauibus agmen
à descendre des navires, ceinte de fer.
ferro accincta uocat.
[615] Déjà au sommet de la citadelle la Tritonienne, regarde ! déjà Pallas
615 Iam summas arces Tritonia, respice, Pallas
a pris position, nimbée des éclairs qui partent d’elle et de la Gorgone enragée.
insedit, nimbo effulgens et Gorgone saeua.
Le Père lui-même soutient le courage et les forces propices aux Danaens,
Ipse pater Danais animos uiresque secundas
lui-même il anime les dieux contre les armes dardaniennes.
sufficit, ipse deos in Dardana suscitat arma.
Prends la fuite, mon fils, et mets fin à cette épreuve.
Eripe, nate, fugam, finemque impone labori.
[620] Nulle part je ne serai loin de toi et je te déposerai en sûreté à ton seuil ancestral. »
620 Nusquam abero, et tutum patrio te limine sistam.’
Elle avait fini de parler et elle s’enfonça dans les ombres denses de la nuit.
Dixerat, et spissis noctis se condidit umbris.
Se révèlent à moi les funestes apparitions, les ennemis de Troie,
Adparent dirae facies inimicaque Troiae
les puissances supérieures des dieux.
numina magna deum.
[1] v. 589 : non ante oculis tam clara : J. Perret (CUF, Les Belles Lettres, 1992) ajoute ici une note justifiant une traduction différente de la mienne.
"Il nous paraît douteux, dit-il, que cet ante renvoie à d’autres théophanies où Vénus se fût également présentée devant Énée mais avec moins d’évidence ou dans une moindre lumière : l’allusion serait énigmatique." (op. cit. note 589 p 165)
Il y a cependant l’épisode du livre I v. 314-334, où Vénus se présente à Énée sous des traits empruntés, et la remarque amère d’Énée reprochant à sa mère de lui apparaître toujours sous des apparences illusoires (v. 407-410). Ici au contraire elle "s’avoue déesse" et se montre en majesté. L’allusion ne me semble donc pas énigmatique, j’y vois une référence au livre I.