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Virgile, Énéide II v. 506-558 | La mort de Priam

samedi 25 mai 2013, par Danielle Carlès

Peut-être aussi voudrais-tu savoir quel fut le destin de Priam ?

Dès qu’il comprend que la ville est prise, qu’elle tombe, que les portes

de l’entrée ont été arrachées et que l’ennemi est là, au cœur du palais,

le vieil homme dans un geste vain revêt ses épaules que l’âge fait trembler

[510] des armes depuis longtemps remisées et ceint une inutile épée,

puis il se dirige, prêt à mourir, vers les rangs serrés ennemis.

Dans le milieu des appartements, à ciel ouvert sous l’axe de la voûte éthérée,

il y avait un autel monumental que cotoyait un très ancien laurier.

Se penchant sur l’autel, il embrassait de son ombre les Pénates.

[515] C’est là qu’en vain Hécube et ses filles autour des tables de sacrifice,

comme des colombes brusquement chassées par une sombre tempête,

serrées les unes contre les autres et enlaçant les statues des dieux, s’étaient réfugiées.

Mais lui, Priam, qui avait pris les armes du temps de sa jeunesse,

dès qu’elle le vit : « Quelle pensée funeste, malheureux, malheureux époux,

[520] t’a fait ceindre ces armes ? Vers quoi cours-tu ? », dit-elle.

« Ce genre de secours, cette sorte de défenseurs, non, ce n’est pas

ce que l’heure réclame, non, pas même si mon Hector était là en ce moment.

Allons, renonce et viens à mes côtés. Cet autel nous protègera tous

ou tu mourras avec moi. » Avec ces mots de sa bouche, elle ramena

[525] près d’elle le vieillard au grand âge et lui fit prendre place dans le lieu consacré.

Or voilà que s’échappant des mains meurtrières de Pyrrhus, Politès,

un des fils de Priam, passe à travers les armes qui volent, à travers les ennemis,

fuit en empruntant les longues galeries et parcourt toutes les salles vides,

malgré ses blessures. Excité par le désir de lui porter le dernier coup, Pyrrhus

[530] le suit de près, et, déjà, déjà il le tient et l’abat de sa lance,

À peine était-il finalement parvenu sous les yeux de ses parents, en face d’eux,

qu’il s’écroula et sa vie se répandit au dehors dans un immense flot de sang.

Là Priam, bien que déjà prisonnier du cercle de la mort,

ne resta pas sans réaction et il ne mesura ni ses mots ni l’expression de sa colère :

[535 « Ah ! toi, dit-il fortement, pour ce crime, pour cet excès d’impudence,

que les dieux, s’il est au ciel une justice pieuse qui s’inquiète de ces choses,

te payent en retour selon ton mérite, qu’ils t’accordent la récompense

due, toi qui m’as fait regarder en face la mort de mon fils,

toi qui as souillé mes yeux de père par la vue de son cadavre.

[540] Ah ! l’autre, celui dont tu dis faussement être issu, Achille,

il n’a rien fait de tel à son ennemi, à Priam, non ! Le droit et la foi

d’un suppliant l’ont fait rougir et il a rendu le corps exsangue d’Hector

pour le sépulcre, puis il m’a laissé regagner mon trône. »

Ainsi parla le vieil homme, et maladroitement, sans force, il lança

[545] son arme, directement arrêtée avec un bruit rauque du bronze

par la bosse saillante du bouclier, où il resta vainement suspendu.

Alors Pyrrhus, s’adressant à lui : « Eh bien, tu lui diras tout ça, tu seras même

ton propre messager auprès du Péléide, mon père. Pense à lui raconter

mes tragiques exploits et que Néoptolème est un bâtard,

[550] et maintenant, meurs ! » En parlant il traîna jusque devant l’autel

le vieillard tremblant qui trébuchait dans tout le sang de son fils,

il empoigna ses cheveux de la main gauche, de la droite il brandit son épée,

et la plongea dans son côté jusqu’à la garde.

Telle fut la fin de Priam, prononcée par le destin, telle fut la mort

[555] que le sort réserva, avec la vision de Troie incendiée, de Pergame

tombée, à ce monarque superbe qui un jour sur tant de peuples et de terres

avait régné en Asie. Immense et mutilé, il gît sur la grève,

la tête détachée des épaules et un corps anonyme.


Lecture avec le texte latin

Peut-être aussi voudrais-tu savoir quel fut le destin de Priam ?

Forsitan et Priami fuerint quae fata requiras.

Dès qu’il comprend que la ville est prise, qu’elle tombe, que les portes

Urbis uti captae casum conuolsaque uidit

de l’entrée ont été arrachées et que l’ennemi est là, au cœur du palais,

limina tectorum et medium in penetralibus hostem,

le vieil homme dans un geste vain revêt ses épaules que l’âge fait trembler

arma diu senior desueta trementibus aeuo

[510] des armes depuis longtemps remisées et ceint une inutile épée,

510 circumdat nequiquam umeris, et inutile ferrum

puis il se dirige, prêt à mourir, vers les rangs serrés ennemis.

cingitur, ac densos fertur moriturus in hostis.

Dans le milieu des appartements, à ciel ouvert sous l’axe de la voûte éthérée,

Aedibus in mediis nudoque sub aetheris axe

il y avait un autel monumental que cotoyait un très ancien laurier.

ingens ara fuit iuxtaque ueterrima laurus,

Se penchant sur l’autel, il embrassait de son ombre les Pénates.

incumbens arae atque umbra complexa Penatis.

[515] C’est là qu’en vain Hécube et ses filles autour des tables de sacrifice,

515 Hic Hecuba et natae nequiquam altaria circum,

comme des colombes brusquement chassées par une sombre tempête,

praecipites atra ceu tempestate columbae,

serrées les unes contre les autres et enlaçant les statues des dieux, s’étaient réfugiées.

condensae et diuom amplexae simulacra sedebant.

Mais lui, Priam, qui avait pris les armes du temps de sa jeunesse,

Ipsum autem sumptis Priamum iuuenalibus armis

dès qu’elle le vit : « Quelle pensée funeste, malheureux, malheureux époux,

ut uidit, ’Quae mens tam dira, miserrime coniunx,

[520] t’a fait ceindre ces armes ? Vers quoi cours-tu ? », dit-elle.

520 impulit his cingi telis ? Aut quo ruis ?’ inquit ;

« Ce genre de secours, cette sorte de défenseurs, non, ce n’est pas

’Non tali auxilio nec defensoribus istis

ce que l’heure réclame, non, pas même si mon Hector était là en ce moment.

tempus eget, non, si ipse meus nunc adforet Hector.

Allons, renonce et viens à mes côtés. Cet autel nous protègera tous

Huc tandem concede ; haec ara tuebitur omnis,

ou tu mourras avec moi. » Avec ces mots de sa bouche, elle ramena

aut moriere simul.’ Sic ore effata recepit

[525] près d’elle le vieillard au grand âge et lui fit prendre place dans le lieu consacré.

525 ad sese et sacra longaeuum in sede locauit.

Or voilà que s’échappant des mains meurtrières de Pyrrhus, Politès,

Ecce autem elapsus Pyrrhi de caede Polites,

un des fils de Priam, passe à travers les armes qui volent, à travers les ennemis,

unus natorum Priami, per tela, per hostis

fuit en empruntant les longues galeries et parcourt toutes les salles vides,

porticibus longis fugit, et uacua atria lustrat

malgré ses blessures. Excité par le désir de lui porter le dernier coup, Pyrrhus

saucius : illum ardens infesto uolnere Pyrrhus

[530] le suit de près, et, déjà, déjà il le tient et l’abat de sa lance,

530 insequitur, iam iamque manu tenet et premit hasta.

À peine était-il finalement parvenu sous les yeux de ses parents, en face d’eux,

Ut tandem ante oculos euasit et ora parentum,

qu’il s’écroula et sa vie se répandit au dehors dans un immense flot de sang.

concidit, ac multo uitam cum sanguine fudit.

Là Priam, bien que déjà prisonnier du cercle de la mort,

Hic Priamus, quamquam in media iam morte tenetur,

ne resta pas sans réaction et il ne mesura ni ses mots ni l’expression de sa colère :

non tamen abstinuit, nec uoci iraeque pepercit :

[535 « Ah ! toi, dit-il fortement, pour ce crime, pour cet excès d’impudence,

535 ’At tibi pro scelere,’ exclamat, ’pro talibus ausis,

que les dieux, s’il est au ciel une justice pieuse qui s’inquiète de ces choses,

di, si qua est caelo pietas, quae talia curet,

te payent en retour selon ton mérite, qu’ils t’accordent la récompense

persoluant grates dignas et praemia reddant

due, toi qui m’as fait regarder en face la mort de mon fils,

debita, qui nati coram me cernere letum

toi qui as souillé mes yeux de père par la vue de son cadavre.

fecisti et patrios foedasti funere uoltus.

[540] Ah ! l’autre, celui dont tu dis faussement être issu, Achille,

540 At non ille, satum quo te mentiris, Achilles

il n’a rien fait de tel à son ennemi, à Priam, non ! Le droit et la foi

talis in hoste fuit Priamo ; sed iura fidemque

d’un suppliant l’ont fait rougir et il a rendu le corps exsangue d’Hector

supplicis erubuit, corpusque exsangue sepulchro

pour le sépulcre, puis il m’a laissé regagner mon trône. »

reddidit Hectoreum, meque in mea regna remisit.’

Ainsi parla le vieil homme, et maladroitement, sans force, il lança

Sic fatus senior, telumque imbelle sine ictu

[545] son arme, directement arrêtée, avec un bruit rauque du bronze,

545 coniecit, rauco quod protinus aere repulsum

par la bosse saillante du bouclier où il resta vainement suspendu.

e summo clipei nequiquam umbone pependit.

Alors Pyrrhus, s’adressant à lui : « Eh bien, tu lui diras tout ça, tu seras même

Cui Pyrrhus : ’Referes ergo haec et nuntius ibis

ton propre messager auprès du Pélide, mon père. Pense à lui raconter

Pelidae genitori ; illi mea tristia facta

mes tragiques exploits et que Néoptolème est un bâtard,

degeneremque Neoptolemum narrare memento.

[550] et maintenant, meurs ! » En parlant il traîna jusque devant l’autel

550 Nunc morere.’ Hoc dicens altaria ad ipsa trementem

le vieillard tremblant qui trébuchait dans tout le sang de son fils,

traxit et in multo lapsantem sanguine nati,

il empoigna ses cheveux de la main gauche, de la droite il brandit son épée,

implicuitque comam laeua, dextraque coruscum

et la plongea dans son côté jusqu’à la garde.

extulit, ac lateri capulo tenus abdidit ensem.

Telle fut la fin de Priam, prononcée par le destin, telle fut la mort

Haec finis Priami fatorum ; hic exitus illum

[555] que le sort réserva, avec la vision de Troie incendiée, de Pergame

555 sorte tulit, Troiam incensam et prolapsa uidentem

tombée, à ce monarque superbe qui un jour sur tant de peuples et de terres

Pergama, tot quondam populis terrisque superbum

avait régné en Asie. Immense et mutilé, il gît sur la grève,

regnatorem Asiae. Iacet ingens litore truncus,

la tête détachée des épaules et un corps anonyme.

auolsumque umeris caput, et sine nomine corpus.

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