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Virgile, Énéide II v. 559-587 | Hélène

mardi 4 juin 2013, par Danielle Carlès

Mais alors pour la première fois une violente horreur s’empara de moi.

[560] Je me glaçai. L’image de mon père bien-aimé monta en moi

lorsque je vis le roi, qui avait le même âge, cruellement blessé

exhaler sa vie, monta celle de Créuse, seule,

notre maison au pillage, et le petit Iule en danger.

Je regarde, je passe en revue l’aide sur laquelle je peux compter autour de moi.

[565] Tous, à bout de force, ont abandonné et d’un saut les blessés

se sont jetés à terre, de désespoir, ou dans les flammes.

Si bien que là il n’y avait plus que moi seul, quand, tenant l’entrée du sanctuaire

de Vesta, silencieuse et dissimulée dans un coin à l’écart,

j’aperçois la Tyndaride : les vives lueurs de l’incendie projettent de la lumière

[570] sur mon chemin tandis que je fouille chaque endroit des yeux.

Cette femme, par peur des Troyens qui la haïssaient à cause de la ruine de Pergame,

peur du châtiment des Danaens et de la colère de son époux abandonné,

Érinys tout ensemble de Troie et de sa propre patrie,

s’était cachée à l’écart, elle qu’on ne voulait plus voir, assise à côté de l’autel.

[575] Le feu s’alluma dans mon âme. La rage monte en moi de venger

ma patrie et de punir le crime.

Elle, c’est sûr, indemne elle verra de ses yeux Sparte et la Mycènes de ses pères,

elle ira comme une reine, après le triomphe,

son mari, sa maison, ses aînés et ses enfants, elle les verra,

[580] au milieu d’une escorte de Troyennes et de serviteurs phrygiens,

mais Priam sera tombé sous le fer, Troie aura brûlé dans le feu,

mais notre rivage tant et tant de fois aura sué du sang des Dardaniens ?

Non, pas ça ! Même si la renommée ne retient pas

le châtiment infligé à une femme et que la victoire est sans gloire,

[585] cependant supprimer une abomination et punir celle qui le mérite

me vaudra des louanges et il y aura le bonheur de réchauffer mon âme

à la flamme de la vengeance et de satisfaire aux cendres des miens.


Lecture avec le texte latin

Mais alors pour la première fois une violente horreur s’empara de moi.

At me tum primum saeuus circumstetit horror

[560] Je me glaçai. L’image de mon père bien-aimé monta en moi

560 Obstipui ; subiit cari genitoris imago,

lorsque je vis le roi, qui avait le même âge, cruellement blessé

ut regem aequaeuum crudeli uolnere uidi

exhaler sa vie, monta celle de Créuse, seule,

uitam exhalantem ; subiit deserta Creusa,

notre maison au pillage, et le petit Iule en danger.

et direpta domus, et parui casus Iuli.

Je regarde, je passe en revue l’aide sur laquelle je peux compter autour de moi.

Respicio, et quae sit me circum copia lustro.

[565] Tous, à bout de force, ont abandonné et d’un saut les blessés

565 Deseruere omnes defessi, et corpora saltu

se sont jetés à terre, de désespoir, ou dans les flammes.

ad terram misere aut ignibus aegra dedere.

Si bien que là il n’y avait plus que moi seul, quand, tenant l’entrée du sanctuaire

Iamque adeo super unus eram, cum limina Vestae

de Vesta, silencieuse et dissimulée dans un coin à l’écart,

seruantem et tacitam secreta in sede latentem

j’aperçois la Tyndaride : les vives lueurs de l’incendie projettent de la lumière

Tyndarida aspicio : dant clara incendia lucem

[570] sur mon chemin tandis que je fouille chaque endroit des yeux.

570 erranti passimque oculos per cuncta ferenti.

Cette femme, par peur des Troyens qui la haïssaient à cause de la ruine de Pergame,

Illa sibi infestos euersa ob Pergama Teucros

peur du châtiment des Danaens et de la colère de son époux abandonné,

et poenas Danaum et deserti coniugis iras

Érinys tout ensemble de Troie et de sa propre patrie,

praemetuens, Troiae et patriae communis Erinys,

s’était cachée à l’écart, elle qu’on ne voulait plus voir [1], assise à côté de l’autel.

abdiderat sese atque aris inuisa sedebat.

[575] Le feu s’alluma dans mon âme. La rage monte en moi de venger

575 Exarsere ignes animo ; subit ira cadentem

ma patrie et de punir le crime.

ulcisci patriam et sceleratas sumere poenas.

Elle, c’est sûr, indemne elle verra de ses yeux Sparte et la Mycènes de ses pères,

’Scilicet haec Spartam incolumis patriasque Mycenas

elle ira comme une reine, après le triomphe,

aspiciet, partoque ibit regina triumpho,

son mari, sa maison, ses aînés et ses enfants, elle les verra,

coniugiumque, domumque, patres, natosque uidebit,

[580] au milieu d’une escorte de Troyennes et de serviteurs phrygiens,

580 Iliadum turba et Phrygiis comitata ministris ?

mais Priam sera tombé sous le fer, Troie aura brûlé dans le feu,

Occiderit ferro Priamus, Troia arserit igni ?

mais notre rivage tant et tant de fois aura sué du sang des Dardaniens ?

Dardanium totiens sudarit sanguine litus ?

Non, pas ça ! Même si la renommée ne retient pas

Non ita : namque etsi nullum memorabile nomen

le châtiment infligé à une femme et que la victoire est sans gloire [2],

feminea in poena est, nec habet uictoria laudem,

[585] cependant supprimer une abomination et punir celle qui le mérite

585 extinxisse nefas tamen et sumpsisse merentis

me vaudra des louanges et il y aura le bonheur de réchauffer mon âme

laudabor poenas, animumque explesse iuuabit

à la flamme de la vengeance et de satisfaire aux cendres des miens.

ultricis flammae, et cineres satiasse meorum.’


[1Le terme latin inuisa recouvre en fait deux homonymes. L’un est l’adjectif IN-VISUS formé en regard de VISUS par l’adjonction du préfixe à valeur privative IN. Ainsi invisus "non-vu / non-visible" s’oppose à visus " vu / visible". L’autre est le participe du verbe IN-VIDEO formé du verbe VIDEO "voir" avec l’adjonction du préverbe IN "à l’encontre de, vers" avec ici connotation "hostile", d’où invisus "voir avec hostilité", "haïr", "détester". Or Hélène est à la fois "invisible" à tous sauf à Énée et "haïe". La traduction essaye autant qu’elle peut de rendre les deux sens qui se superposent en latin et que le contexte sollicite inévitablement.

[2Les manuscrits offrent deux versions, soit habet haec uictoria laudem "cette victoire mérite la gloire / louange" soit nec habet victoria laudem " la victoire est sans gloire". Je retiens la seconde plutôt que la première, à la différence de J. Perret (CUF, Les Belles Lettres).

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