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Horace, Épodes 16 | La prophétie
lundi 12 novembre 2012, par
Une deuxième génération s’épuise dans les guerres civileset Rome s’effondre sous ses propres forces.Elle dont les Marses voisins n’ont pu venir à bout,ni la puissance étrusque de Porsenna menaçant,ni les rebellions de l’Allobroge infidèle,elle que n’a domptée ni la sauvage Germanie et ses guerriers bleus,ni Hannibal exécré des parents,génération impie issue d’un sang maudit, nous la ruinerons10 et le sol retournera aux bêtes sauvages.Le Barbare, hélas, en piétinera les cendres, vainqueur, et sur son chevalil martèlera la Ville d’un sabot retentissant,et les os de Quirinus soustraits au vent et au soleil,vision sacrilège, il les dispersera avec insolence.15 Peut-être cherchez-vous, tous ensemble ou les meilleurs de vous,un moyen d’échapper à ces dures épreuves ?dont la cité, après un serment redoutable, s’enfuitloin des champs et des lares paternels, laissant ses temples servir de tanière20 aux sangliers et aux loups rapaces,pour aller, n’importe, là où les pieds vous porteront, là où, parcourant les eaux,Êtes-vous décidés ? ou quelqu’un a-t-il mieux à conseiller ? Pourquoi tarder ?Jetons-nous dans un bateau sous des auspices favorables !25 Mais prêtons serment en ces termes : « À l’instant où les pierres seront légères etdu fond de l’eau remonteront flotter, que rentrer ne soit plus interdit !Qu’il soit opportun de remettre les voiles dans le sens du retour, quandquand le sommet de l’Apennin dépassera sur la mer30 et que, par fantaisie sans précédent, un amour incroyable aura formédes couples prodigieux : la tigresse avec plaisir se ferait couvrir par le cerf,la colombe avec le milan forniquerait,les bêtes de labour, confiantes, n’auraient plus peur des lions grisâtres,et le bouc, tout lisse, aimerait la mer salée. »35 Après ces exécrations et toutes celles qui pourront nous couperd’un doux retour, partons ! toute la citéou une partie, meilleure que le troupeau ignorant : faible et sans attentequ’il reste là, à piétiner sa funeste litière !Vous qui avez du courage, refusez de vous lamenter comme des femmes40 et envolez-vous par delà les bords étrusques !Nous attend l’Océan qui va autour du monde. Gagnons les rivages bienheureux,gagnons les rivages, les îles fortunées,où la terre sans être labourée rend Cérès tous les ans,où la vigne sans être taillée ne cesse de fleurir,45 où l’olivier pousse des rameaux qui jamais ne déçoivent,où la figue noire est l’ornement de son arbre,le miel coule du creux des chênes, du haut des montagnesune eau légère bondit et danse en crépitant.Là-bas sans être commandées les chèvres viennent pour la traite50 et le troupeau en bonne amitié amène ses mamelles distendues.À la tombée du soir, l’ours ne gronde pas autour des bergerieset le sol profond ne se gonfle pas de vipères.Et nous admirerons, heureux, plus de merveilles encore : l’Eurus pluvieuxn’y ravine pas les champs sous des averses torrentielles,55 les fertiles semences n’y sont pas brûlées par une glèbe desséchée,car le roi des divinités célestes tempère l’un et l’autre.Vers elle les rameurs de l’Argo n’ont pas lancé leur vaisseau,l’impudique Colchidienne n’y a pas mis le pied,vers elle les marins de Sidon n’ont pas brassé leurs antennes,60 ni le vaillant équipage d’Ulysse.Nulle contagion n’y décime le bétail, nul astre n’y consumele troupeau des excès de sa chaleur.Jupiter réserva ces rivages pour un peuple pieuxlorsqu’il corrompit par le bronze le siècle d’or,65 par le bronze, puis par le fer il endurcit les siècles, d’oùpour les âmes pieuses, j’en suis le prophète, une heureuse évasion est permise.
Lecture avec le texte latin
Une deuxième génération s’épuise dans les guerres civiles
Altera iam teritur bellis ciuilibus aetas,
et Rome s’effondre sous ses propres forces.
suis et ipsa Roma uiribus ruit.
Elle dont les Marses voisins n’ont pu venir à bout,
quam neque finitimi ualuerunt perdere Marsi
ni la puissance étrusque du menaçant Porsenna,
minacis aut Etrusca Porsenae manus,
5 ni Capoue, rivale par le courage, ni Spartacus dans son acharnement,
5 aemula nec uirtus Capuae nec Spartacus acer
ni les rebellions de l’Allobroge infidèle,
nouisque rebus infidelis Allobrox
elle que n’a domptée ni la sauvage Germanie et ses guerriers bleus [1],
nec fera caerulea domuit Germania pube
ni Hannibal exécré des parents,
parentibusque abominatus Hannibal :
génération impie issue d’un sang maudit, nous la ruinerons
inpia perdemus deuoti sanguinis aetas
10 et le sol retournera aux bêtes sauvages.
10 ferisque rursus occupabitur solum :
Le Barbare, hélas, en piétinera les cendres, vainqueur, et sur son cheval
barbarus heu cineres insistet uictor et Vrbem
il martèlera la Ville d’un sabot retentissant,
eques sonante uerberabit ungula,
et les os de Quirinus soustraits au vent et au soleil,
quaeque carent uentis et solibus ossa Quirini,
vision sacrilège, il les dispersera avec insolence.
(nefas uidere) dissipabit insolens.
15 Peut-être cherchez-vous, tous ensemble ou les meilleurs de vous,
15 forte quid expediat communiter aut melior pars,
un moyen d’échapper à ces dures épreuves ?
malis carere quaeritis laboribus ;
Nulle décision n’est préférable à celle-ci : faites comme les Phocéens
nulla sit hac potior sententia : Phocaeorum
dont la cité, après un serment redoutable, s’enfuit
uelut profugit exsecrata ciuitas
loin des champs et des lares paternels, laissant ses temples servir de tanière
agros atque lares patrios habitandaque fana
20 aux sangliers et aux loups rapaces,
20 apris reliquit et rapacibus lupis,
pour aller, n’importe, là où les pieds vous porteront, là où, parcourant les eaux,
ire, pedes quocumque ferent, quocumque per undas
le Notus vous appellera ou l’Africus impétueux.
Notus uocabit aut proteruos Africus.
Êtes-vous décidés ? ou quelqu’un a-t-il mieux à conseiller ? Pourquoi tarder ?
sic placet ? an melius quis habet suadere ? Secunda
Jetons-nous dans un bateau sous des auspices favorables !
ratem occupare quid moramur alite ?
25 Mais prêtons serment en ces termes : « À l’instant où les pierres seront légères et
25 sed iuremus in haec : ’simul imis saxa renarint
du fond de l’eau remonteront flotter, que rentrer ne soit plus interdit !
uadis leuata, ne redire sit nefas ;
Qu’il soit opportun de remettre les voiles dans le sens du retour, quand
neu conuersa domum pigeat dare lintea, quando
le Pô baignera les cimes du Matinus,
Padus Matina lauerit cacumina,
quand le sommet de l’Apennin dépassera sur la mer
in mare seu celsus procurrerit Appenninus
30 et que, par fantaisie sans précédent, un amour incroyable aura formé
30 nouaque monstra iunxerit libidine
des couples prodigieux : la tigresse avec plaisir se ferait couvrir par le cerf,
mirus amor, iuuet ut tigris subsidere ceruis,
la colombe avec le milan forniquerait,
adulteretur et columba miluo,
les bêtes de labour, confiantes, n’auraient plus peur des lions grisâtres,
credula nec rauos timeant armenta leones
et le bouc, tout lisse, aimerait la mer salée. »
ametque salsa leuis hircus aequora.’
35 Après ces exécrations et toutes celles qui pourront nous couper
35 haec et quae poterunt reditus abscindere dulcis
d’un doux retour, partons ! toute la cité
eamus omnis exsecrata ciuitas
ou une partie, meilleure que le troupeau ignorant : faible et sans attente
aut pars indocili melior grege ; mollis et exspes
qu’il reste là, à piétiner sa funeste litière !
inominata perpremat cubilia.
Vous qui avez du courage, refusez de vous lamenter comme des femmes
uos, quibus est uirtus, muliebrem tollite luctum,
40 et envolez-vous par delà les bords étrusques !
40 Etrusca praeter et uolate litora.
Nous attend l’Océan qui va autour du monde. Gagnons les rivages bienheureux,
nos manet Oceanus circum uagus : arua beata
gagnons les rivages, les îles fortunées,
petamus, arua diuites et insulas,
où la terre sans être labourée rend Cérès tous les ans,
reddit ubi cererem tellus inarata quotannis
où la vigne sans être taillée ne cesse de fleurir,
et inputata floret usque uinea,
45 où l’olivier pousse des rameaux qui jamais ne déçoivent,
45 germinat et numquam fallentis termes oliuae
où la figue noire est l’ornement de son arbre,
suamque pulla ficus ornat arborem,
le miel coule du creux des chênes, du haut des montagnes
mella caua manant ex ilice, montibus altis
une eau légère bondit et danse en crépitant.
leuis crepante lympha desilit pede.
Là-bas sans être commandées les chèvres viennent pour la traite
illic iniussae ueniunt ad mulctra capellae
50 et le troupeau en bonne amitié amène ses mamelles distendues.
50 refertque tenta grex amicus ubera
À la tombée du soir, l’ours ne gronde pas autour des bergeries
nec uespertinus circumgemit ursus ouile
et le sol profond ne se gonfle pas de vipères.
nec intumescit alta uiperis humus ;
Et nous admirerons, heureux, plus de merveilles encore : l’Eurus pluvieux
pluraque felices mirabimur, ut neque largis
n’y ravine pas les champs sous des averses torrentielles,
aquosus Eurus arua radat imbribus,
55 les fertiles semences n’y sont pas brûlées par une glèbe desséchée,
55 pinguia nec siccis urantur semina glaebis,
car le roi des divinités célestes tempère l’un et l’autre.
utrumque rege temperante caelitum.
Ce n’est pas vers elle que les rameurs de l’Argo ont lancé leur vaisseau,
non huc Argoo contendit remige pinus
l’impudique Colchidienne n’y a pas mis le pied,
neque inpudica Colchis intulit pedem,
ni vers elle que les marins de Sidon ont brassé leurs antennes,
non huc Sidonii torserunt cornua nautae,
60 ni le vaillant équipage d’Ulysse.
60 laboriosa nec cohors Vlixei.
Nulle contagion n’y décime le bétail, nul astre n’y consume
nulla nocent pecori contagia, nullius astri
le troupeau des excès de sa chaleur.
gregem aestuosa torret impotentia.
Jupiter réserva ces rivages pour un peuple pieux
Iuppiter illa piae secreuit litora genti,
lorsqu’il corrompit par le bronze le siècle d’or,
ut inquinauit aere tempus aureum,
65 par le bronze, puis par le fer il endurcit les siècles, d’où
65 aere, dehinc ferro durauit saecula, quorum
pour les âmes pieuses, j’en suis le prophète, une heureuse évasion est permise.
piis secunda uate me datur fuga.
Distiques : un hexamètre dactylique suivi d’un sénaire ïambique.
[1] Certains traducteurs entendent cærulea pube "la jeunesse bleue" comme "la jeunesse aux yeux bleus". Cependant on rapporte que des Celtes (les Pictes) se peignaient le corps en bleu pour aller au combat. Or il est difficile d’établir si les Cimbres étaient d’origine germanique (comme le veut une certaine tradition) ou celte. Que l’expression fasse référence à des peintures de guerre me semble pertinent dans le contexte.
Messages
1. Horace, Épodes 16 | La prophétie, 14 avril 2021, 00:28, par Maryse Violin
Merci pour cette belle traduction, qui donne envie de retrouver le latin.