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Virgile, Énéide IV v. 672-705 | La mort de Didon
mercredi 22 octobre 2014, par
Elle a entendu, le souffle coupé, et dans une course éperdue, épouvantée,
des ongles s’abîmant le visage, sa sœur, martelant sa poitrine,
elle traverse la foule, se précipite, et crie le nom de la mourante :
"C’était cela, ma sœur ? C’est moi que tu voulais tromper ?675
Ce bûcher, c’est ça, pour moi, ce feu, ces autels, qu’ils préparaient ?
De quoi en premier, dans cet abandon, me plaindre ? Ta sœur à tes côtés
de l’avoir rejetée au moment de mourir ? Au même sort tu m’aurais invitée,
la même douleur toi et moi, par le fer, et la même heure nous aurait emportées.
Et de mes mains, ce bûcher, je l’ai érigé, et j’ai invoqué de nos pères680
les dieux par ma voix ! Était-ce, à ton lit de mort, cruelle, pour être éloignée ?
Tu as détruit et toi et moi, ma sœur, et le peuple, et les princes
de Sidon, et ta ville ! Donnez pour la blessure de l’eau fraîche,
que je la baigne, et, s’il y reste encore un dernier souffle errant,
que de ma bouche je le cueille." Avec ces mots, elle avait franchi les dernières marches,685
et, tenant sa sœur quasi-morte embrassée, contre son sein elle l’étreignait
en gémissant, et séchait de sa robe le sang noir qui coulait.
Elle, les yeux lourds, dans un effort les relève, puis à nouveau
défaille. Fichée profondément, siffle sous sa poitrine la blessure.
Trois fois se relevant, appuyée sur son coude, elle se ranima,690
trois fois retomba sur le lit, et ses yeux s’égarèrent dans le ciel profond,
en quête de lumière, puis elle gémit, car elle l’avait trouvée.
Alors Junon Toute-puissante, prenant pitié devant cette douleur sans fin,
et cette difficile mort, envoya Iris de l’Olympe,
pour qu’elle dénoue l’âme en lutte et le corps enchaîné,695
car, puisque ni par arrêt du destin, ni de mort juste elle ne périssait,
mais, malheureuse, avant son jour et dans un subit embrasement de folie,
Proserpine n’avait pas encore à son crâne le blond cheveu
arraché, pas encore condamné sa tête à Orcus Stygien.
Ainsi Iris traverse le ciel, sur ses ailes safranée, baignée de rosée,700
avec sa traîne de mille couleurs différentes face au soleil,
vole vers la terre. Et au-dessus de sa tête elle s’arrêta. "Celui-ci, c’est moi, à Dis
voué, qui par ordre l’emporte, et te libère de ton corps."
Ainsi dit-elle, et de sa main droite elle coupe le cheveu, et dans le même instant toute
chaleur se dissipa, et aux vents la vie s’en alla.705
Lecture avec le texte latin
Elle a entendu, le souffle coupé,et dans une course éperdue, épouvantée,
Audiit exanimis, trepidoque exterrita cursu
des ongles s’abîmant le visage, sa sœur,martelant sa poitrine,
unguibus ora soror foedans et pectora pugnis
elle traverse la foule, se précipite,et crie le nom de la mourante :
per medios ruit, ac morientem nomine clamat :
"C’était cela, ma sœur ? C’est moique tu voulais tromper ?675
675 "Hoc illud, germana, fuit ? Me fraude petebas ?
Ce bûcher, c’est ça, pour moi, ce feu, ces autels,qu’ils préparaient ?
Hoc rogus iste mihi, hoc ignes araeque parabant ?
De quoi en premier, dans cet abandon, me plaindre ?Ta sœur à tes côtés
Quid primum deserta querar ? Comitemne sororem
de l’avoir rejetée au moment de mourir ?Au même sort tu m’aurais invitée,
spreuisti moriens ? Eadem me ad fata uocasses :
la même douleur toi et moi, par le fer, etla même heure nous aurait emportées.
idem ambas ferro dolor, atque eadem hora tulisset.
Et de mes mains, ce bûcher, je l’ai érigé,et j’ai invoqué de nos pères680
680 His etiam struxi manibus, patriosque uocaui
les dieux par ma voix ! Était-ce, à ton lit de mort,cruelle, pour être éloignée ?
uoce deos, sic te ut posita crudelis abessem ?
Tu as détruit et toi et moi, ma sœur,et le peuple, et les princes
Exstinxti te meque, soror, populumque patresque
de Sidon, et ta ville !Donnez pour la blessure de l’eau fraîche,
Sidonios urbemque tuam. Date uolnera lymphis
que je la baigne, et, s’il y reste encoreun dernier souffle errant,
abluam, et, extremus si quis super halitus errat,
que de ma bouche je le cueille." Avec ces mots,elle avait franchi les dernières marches,685
685 ore legam." Sic fata, gradus euaserat altos,
et, tenant sa sœur quasi-morteembrassée, contre son sein elle l’étreignait
semianimemque sinu germanam amplexa fouebat
en gémissant, et séchait de sa robele sang noir qui coulait.
cum gemitu, atque atros siccabat ueste cruores.
Elle, les yeux lourds, dans un effort les relève,puis à nouveau
Illa, graues oculos conata attollere, rursus
défaille. Fichée profondément, sifflesous sa poitrine la blessure.
deficit ; infixum stridit sub pectore uulnus.
Trois fois se relevant, appuyée sur son coude,elle se ranima,690
690 Ter sese attollens cubitoque adnixa leuauit ;
trois fois retomba sur le lit,et ses yeux s’égarèrent dans le ciel profond,
ter reuoluta toro est, oculisque errantibus alto
en quête de lumière,puis elle gémit, car elle l’avait trouvée.
quaesiuit caelo lucem, ingemuitque reperta.
Alors Junon Toute-puissante,prenant pitié devant cette douleur sans fin,
Tum Iuno omnipotens, longum miserata dolorem
et cette difficile mort,envoya Iris de l’Olympe,
difficilisque obitus, Irim demisit Olympo,
pour qu’elle dénoue l’âme en lutteet le corps enchaîné,695
695 quae luctantem animam nexosque resolueret artus.
car, puisque ni par arrêt du destin,ni de mort juste elle ne périssait,
Nam quia nec fato, merita nec morte peribat,
mais, malheureuse, avant son jouret dans un subit embrasement de folie,
sed misera ante diem, subitoque accensa furore,
Proserpine n’avait pas encore à son crânele blond cheveu
nondum illi flauum Proserpina uertice crinem
arraché, pas encorecondamné sa tête à Orcus Stygien.
abstulerat, Stygioque caput damnauerat Orco.
Ainsi Iris traverse le ciel, sur ses ailessafranée, baignée de rosée,700
700 Ergo Iris croceis per caelum roscida pennis,
avec sa traîne de mille couleursdifférentes face au soleil,
mille trahens uarios aduerso sole colores,
vole vers la terre. Et au-dessus de sa têteelle s’arrêta. "Celui-ci, c’est moi, à Dis
deuolat, et supra caput adstitit : "Hunc ego Diti
voué, qui par ordre l’emporte,et te libère de ton corps."
sacrum iussa fero, teque isto corpore soluo."
Ainsi dit-elle, et de sa main droite elle coupele cheveu, et dans le même instant toute
Sic ait, et dextra crinem secat : omnis et una
chaleur se dissipa, et aux vents lavie s’en alla.705
705 dilapsus calor, atque in uentos uita recessit.
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1. Virgile, Énéide IV v. 672-705 | La mort de Didon, 11 janvier 2016, 17:08, par hi
merci pour ce texte !