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Virgile, Énéide IV v. 219-295 : Une autre présentation
et une petite réflexion sur la forme, à la fin
mercredi 10 septembre 2014, par
Tels étaient les mots avec lesquels il priait, sa main tenant l’autel,
et l’entendit le Tout-puissant, et il tourna ses yeux vers les remparts220
royaux et l’oubli de la bonne renommée où étaient les amants.
Alors à Mercure il s’adresse et lui confie cette mission :
“Va, allons, va, mon fils, appelle les Zéphyrs et glisse avec tes ailes.
Au chef dardanien qui dans la tyrienne Carthage maintenant
attend et ne regarde plus les villes dévolues par le destin,225
va parler, porte-lui d’en haut mes ordres, empruntant des brises rapides.
Non, en lui, sa mère la Très-belle, ce n’est pas un tel homme qu’elle nous
a promis, ce n’est pas dans ce but que deux fois elle le soustrait aux armes des Grecs,
mais il devait être celui qui, lourde d’empires et bruissante de la guerre,
l’Italie guiderait, la descendance du noble sang de Teucer230
propagerait et sous ses lois rangerait la totalité du monde.
Si ne parvient à l’enflammer la gloire de si grandes choses
et que l’honneur de sa propre personne ne le détermine pas à l’action,
Ascagne, est-ce que son père lui refusera les citadelles romaines ?
Qu’imagine-t-il ou qu’espère-t-il en s’attardant chez un peuple ennemi,235
au lieu de regarder vers les enfants de l’Ausonie et le pays de Lavinium ?
Qu’il prenne la mer, c’est tout ! Et maintenant sois le messager de notre volonté.”
Il avait fini de parler. L’autre, aux ordres du Père très grand, s’équipait
pour sa mission, et d’abord à ses pieds il attache les talonnières
d’or qui dans l’air grâce aux ailes, au-dessus des eaux,240
au-dessus de la terre, rapide comme un souffle, le portent,
puis il prend sa baguette : avec elle il convoque les âmes chez Orcus,
pâles figures, envoie les autres sous le triste Tartare,
donne le sommeil ou l’enlève, et délivre les regards du sceau de la mort.
Fort d’elle, il active les vents, et nage à travers la tourmente245
nuageuse. Et déjà en volant il distingue la cime et les flancs escarpés
d’Atlas dur à la peine, qui le ciel de sa pointe soutient,
Atlas, perpétuellement ceint de nuages noirs
à sa tête plantée de pins, battue du vent et de la pluie.
La neige qui tombe recouvre ses épaules, des fleuves coulent du menton,250
se précipitent hors de l’ancêtre et de glace se fige sa barbe hérissée.
C’est là en premier lieu que l’enfant du Cyllène se raidissant également sur ses deux ailes,
se posa. Puis, la tête la première, de tout son corps en direction des flots
il s’élança, comme fait un oiseau qui autour du rivage, autour
des récifs poissonneux vole bas près de l’eau,255
ce n’est pas autrement qu’entre terre et ciel il volait
vers le rivage sablonneux de Libye, qu’il fendait le vent,
venant d’auprès son aïeul maternel, le petit-fils né sur le mont Cyllène.
Dès qu’il toucha de ses talons ailés aux lieux d’habitation,
Énée s’occupait de bâtir la citadelle et de créer de nouveaux toits,260
c’est ce qu’il vit. Sur lui, étincelant de jaspe fauve,
était son glaive et de pourpre tyrienne flamboyait le manteau
qui retombait de ses épaules, cadeaux que la riche Didon
lui avait faits, et d’un fil d’or elle avait broché la toile de ses habits.
Sans attendre il l’assaille : "Toi, maintenant c’est la haute Carthage265
dont tu poses les fondations, la belle ville, en bon petit mari,
que tu construis, hélas, ayant tout oublié de ton propre royaume et de ta propre histoire !
En personne le roi des dieux m’envoie vers toi depuis le clair Olympe,
le souverain qui le ciel et la terre par sa volonté fait tourner,
en personne il te fait porter ce message sur les brises rapides :270
qu’imagines-tu ou qu’espères-tu, à perdre ainsi ton temps sur la terre libyenne ?
Si ne parvient à te toucher la gloire de si grandes choses
et que l’honneur de ta propre personne ne te détermine pas à l’action,
vers Ascagne en train de grandir et l’espérance de ton héritier, Iule,
regarde, car à lui le trône d’Italie et la terre romaine275
sont dus." Et le dieu du Cyllène, après de tels mots de sa bouche,
la vision des mortels abandonna en plein milieu de ses propos
et loin des yeux s’évanouit en léger souffle.
Mais Énée, lui, devant l’apparition resta muet, stupide,
les cheveux dressés par l’effroi, et sa voix se bloqua au fond de son gosier. 280
Il brûle du désir de fuir, d’abandonner ces douces terres,
stupéfait d’un tel avertissement, de l’impérieuse sommation des dieux.
Hélas, que va-t-il faire ? Comment aller trouver maintenant la Reine si passionnée ?
Comment oser lui dire ? Quels mots choisir pour commencer ?
Et sa pensée, à toute allure, il divise, allant d’un avis à l’autre,285
dans des directions variées il l’entraîne, tourne et retourne chaque possibilité.
À force d’hésiter, un parti lui sembla meilleur.
Mnesthée et Sergeste il convoque, avec le valeureux Séreste :
qu’ils gréent la flotte sans mot dire et rassemblent les équipages sur le bord,
qu’ils préparent leurs armes, mais la raison de ces brusques manœuvres,290
qu’ils la taisent. Lui, entre temps, profitant que la très bonne Didon
ne sait rien et ne s’attend pas à la rupture d’un si grand amour,
il tentera de trouver une approche et pour lui parler le meilleur
moment, et la bonne manière de dire la chose. Promptement tous
à son commandement, pleins de joie, obéissent et s’empressent d’exécuter les ordres. 295
Sans revenir sur l’idée de base de En quelle mesure l’Énéide ?, mais tâtonnant à trouver la meilleure présentation, je propose ici une alternative à la mise en distiques de l’hexamètre.
Supprimer la matérialisation des deux vers correspondant en français à un hexamètre latin présente un inconvénient "comptable" : je me retrouve avec des syllabes en surnombre, celles qui, comportant un e muet, s’élident à la pause (césure ou finale) devant une consonne. Sauf, bien entendu, que la démarche inverse est valide : aller, non pas de l’écrit à l’oral, mais de l’oral à l’interprétation — rythmique — de l’écrit. Quoiqu’en réalité la poésie s’installe dans la tension de l’un et de l’autre, jouant de l’un et de l’autre, dans l’épaisseur floue de l’entre-deux.
L’idée est donc de continuer le même travail, mais inapparent à la lecture muette, dans une traduction vers à vers. Aucune autre présentation, de celles que j’ai tentées pour moi, ne m’a convaincue.
En tout état de cause, ce site est d’expérimentation, pas un conservatoire d’œuvres éternelles.
Vos remarques, lecteurs, sont les bienvenues.