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Virgile, Énéide IV v. 522-553 | Si grandes, elle laissait éclater son cœur de plaintes.
lundi 6 octobre 2014, par
C’était la nuit, et calme, goûtaient, fatigués, le sommeil
tous les êtres sur terre, et les forêts et sauvages, se reposaient,
les eaux, l’heure où les astres roulent au milieu de leur course,525
l’heure où se tait chaque parcelle, bêtes et oiseaux colorés,
la moindre vie aux étendues des lacs limpides, la moindre aux ronces broussailleuses
des campagnes tenue, dans le sommeil couchés sous la nuit silencieuse.
Mais non, pauvre âme infortunée, la Phénicienne, et pas un instant elle ne
s’abandonne au sommeil, et ni ses yeux ni son cœur à la nuit530
ne font accueil : redoublent ses tourments, se ranime encore et encore
avec rage l’amour et un immense flot de colère la secoue et bouillonne.
À ce point elle s’arrête et roule, déroule ainsi son cœur pour elle-même :
"Mais là, que puis-je faire ? Revenir, humiliée, à mes anciens prétendants,
m’y risquer et chez les Nomades rechercher un mariage, suppliante,535
eux que j’ai tant de fois déjà dédaignés pour maris ?
Alors, les navires d’Ilion, des Troyens les dernières
exigences, les suivre ? Parce qu’il y a plaisir à aider quand d’abord on l’a été
et, pour qui a de la mémoire, d’un ancien bienfait persiste la reconnaissance ?
Mais qui, à supposer que je le veuille, me laissera libre ? Ces vaisseaux arrogants,540
haïe, qui me recevra ? Ne sais-tu pas, hélas, femme perdue, n’as-tu pas encore
éprouvé toi-même les parjures des enfants de Laomédon ?
Quoi alors ? Seule à fuir, j’accompagnerai des marins triomphateurs,
ou bien, entourée des Tyriens et de tout le cercle des miens
est-ce que j’irai ? Et ceux qu’avec peine à leur ville sidonienne j’ai arrachés,545
à nouveau les ramener sur la mer et de larguer les voiles aux vents redonner l’ordre ?
Allons, meurs, tu l’as mérité, et par le fer éloigne la douleur !
Toi, vaincue par mes larmes, toi la première quand je deviens folle,
de ces maux, ma sœur, tu m’imposes le poids et tu me jettes à l’ennemi !
Non, il ne m’était pas permis hors du mariage que sans crime je vive550
jusqu’au bout, comme une bête sauvage, et sans que m’atteignent de tels tourments,
moi qui n’ai pas su conserver la foi promise aux cendres de Sychée !"
Si grandes, elle laissait éclater son cœur de plaintes.
Lecture avec le texte latin
C’était la nuit, et calme,goûtaient, fatigués, le sommeil
Nox erat, et placidum carpebant fessa soporem
tous les êtres sur terre, et les forêtset sauvages, se reposaient,
corpora per terras, siluaeque et saeua quierant
les eaux, l’heure où les astres roulentau milieu de leur course,525
525 aequora : cum medio uoluuntur sidera lapsu,
l’heure où se tait chaque parcelle,bêtes et oiseaux colorés,
cum tacet omnis ager, pecudes pictaeque uolucres,
la moindre vie aux étendues des lacs limpides,la moindre aux ronces broussailleuses
quaeque lacus late liquidos, quaeque aspera dumis
des campagnes tenue, dans le sommeil couchéssous la nuit silencieuse.
rura tenent, somno positae sub nocte silenti
[lenibant curas, et corda oblita laborum.]
Mais non, pauvre âme infortunée,la Phénicienne, et pas un instant elle ne
At non infelix animi Phoenissa, nec umquam
s’abandonne au sommeil,et ni ses yeux ni son cœur à la nuit530
530 Soluitur in somnos, oculisue aut pectore noctem
ne font accueil : redoublent ses tourments,se ranime encore et encore
accipit : ingeminant curae, rursusque resurgens
avec rage l’amour et un immense flotde colère la secoue et bouillonne.
saeuit amor, magnoque irarum fluctuat aestu.
À ce point elle s’arrête et roule, dérouleainsi son cœur pour elle-même :
Sic adeo insistit, secumque ita corde uolutat :
"Mais là, que puis-je faire ? Revenir,humiliée, à mes anciens prétendants,
"En, quid ago ? Rursusne procos inrisa priores
m’y risquer et chez les Nomadesrechercher un mariage, suppliante,535
535 experiar, Nomadumque petam conubia supplex,
eux que j’ai tant de fois déjà dédaignés pour maris ?
quos ego sim totiens iam dedignata maritos ?
Alors, les navires d’Ilion,des Troyens les dernières
Iliacas igitur classes atque ultima Teucrum
exigences, les suivre ? Parce qu’il y a plaisirà aider quand d’abord on l’a été
iussa sequar ? Quiane auxilio iuuat ante leuatos,
et, pour qui a de la mémoire, d’un ancienbienfait persiste la reconnaissance ?
et bene apud memores ueteris stat gratia facti ?
Mais qui, à supposer que je le veuille,me laissera libre ? Ces vaisseaux arrogants,540
540 Quis me autem, fac uelle, sinet, ratibusue superbis
haïe, qui me recevra ? Ne sais-tupas, hélas, femme perdue, n’as-tu pas encore
inuisam accipiet ? Nescis heu, perdita, necdum
éprouvé toi-même les parjuresdes enfants de Laomédon ?
Laomedonteae sentis periuria gentis ?
Quoi alors ? Seule à fuir,j’accompagnerai des marins triomphateurs,
Quid tum, sola fuga nautas comitabor ouantes,
ou bien, entourée des Tyrienset de tout le cercle des miens
an Tyriis omnique manu stipata meorum
est-ce que j’irai ? Et ceux qu’avec peineà leur ville sidonienne j’ai arrachés,545
545 inferar, et, quos Sidonia uix urbe reuelli,
à nouveau les ramener sur la meret de larguer les voiles aux vents redonner l’ordre ?
rursus agam pelago, et uentis dare uela iubebo ?
Allons, meurs, tu l’as mérité,et par le fer éloigne la douleur !
Quin morere, ut merita es, ferroque auerte dolorem.
Toi, vaincue par mes larmes,toi la première quand je deviens folle,
Tu lacrimis euicta meis, tu prima furentem
de ces maux, ma sœur, tu m’imposesle poids et tu me jettes à l’ennemi !
his, germana, malis oneras atque obicis hosti.
Non, il ne m’était pas permis hors du mariageque sans crime je vive550
550 Non licuit thalami expertem sine crimine uitam
jusqu’au bout, comme une bête sauvage,et sans que m’atteignent de tels tourments,
degere, more ferae, tales nec tangere curas !
moi qui n’ai pas su conserverla foi promise aux cendres de Sychée !"
Non seruata fides cineri promissa Sychaeo !"
Si grandes, elle laissait éclaterson cœur de plaintes.
Tantos illa suo rumpebat pectore questus.