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Virgile, Énéide I v. 594-630 | Didon accueille Énée
jeudi 21 février 2013, par
Alors il s’adresse à la reine, et pour toute l’assemblée soudainement,
[595] Lui qu’on n’attendait pas, il dit : « Voilà face à vous celui que vous cherchez, je suis là,
Énée le Troyen, arraché aux flots Libyens.
Ô toi seule compatissante aux épouvantables malheurs de Troie,
Nous qui sommes les rescapés des Grecs, aujourd’hui anéantis par tous
Les hasards rencontrés sur terre et sur mer, démunis de tout,
[600] Tu nous offres de partager ta ville, ta demeure ! Acquitter notre dette
De reconnaissance, Didon, n’est pas en nos moyens, ni avec tout ce qui peut
Rester du peuple de Dardanus éparpillé dans le vaste monde.
Puissent les dieux, s’il se trouve des divinités attentives aux êtres pieux, s’il est
Une justice quelque part et un esprit ayant la connaissance du bien,
[605] Te récompenser comme il se doit ! Heureux sont les temps
Qui t’ont vue naître ! Grands sont les parents qui t’ont engendrée telle que tu es !
Aussi longtemps que les fleuves iront à la mer, que les ombres des montagnes
Danseront autour des vallées, que le ciel fera paître les étoiles,
Toujours dureront les hommages, la mémoire de ton nom et les louanges,
[610] Quelle que soit la terre qui m’appelle. » Ainsi parla-t-il,
Et il alla prendre Ilionée de sa main droite, Séreste de sa gauche,
Et les autres après, et le vaillant Gyas et le vaillant Cloanthe.
La Sidonienne, Didon, stupéfaite tout d’abord de la vision,
Puis de l’immense infortune du héros, parla ainsi de sa bouche :
[615] « Quelle infortune, fils d’une déesse, te poursuit
D’aventure en aventure ? Quelle puissance te jette sur ces côtes sauvages ?
Car tu es bien cet Énée que, pour le Dardanien Anchise,
La bonne Vénus mit au monde près du fleuve Phrygien, près du Simoïs ?
Et quant à moi je me souviens de Teucer venant à Sidon.
[620] Chassé du pays de son père, il se cherchait un nouveau royaume
Avec l’aide de Bélus. Bélus, mon père, ravageait à l’époque la fertile
Chypre et, vainqueur, la tenait sous sa domination.
Depuis ce temps-là le sort de la ville de Troie m’est bien connu,
Ainsi que ton nom, et les rois Pélasges.
[625] Lui-même, bien que leur ennemi, faisait des Troyens un singulier éloge
Et prétendait descendre de l’antique souche des Troyens.
C’est pourquoi allez, ô jeunes gens, pénétrez sous notre toit.
Moi aussi, secouée par de nombreuses épreuves, une fortune semblable
A voulu que je m’arrête finalement sur cette terre.
[630] Je ne suis pas ignorante du malheur, pour apprendre à secourir les malheureux. »
Lecture avec le texte latin
Alors il s’adresse à la reine, et pour toute l’assemblée soudainement,
Tum sic reginam adloquitur, cunctisque repente
[595] Lui qu’on n’attendait pas, il dit : « Voilà face à vous celui que vous cherchez, je suis là,
595 improuisus ait : ’Coram, quem quaeritis, adsum,
Énée le Troyen, arraché aux flots Libyens.
Troius Aeneas, Libiyis ereptus ab undis.
Ô toi seule compatissante aux épouvantables malheurs de Troie,
O sola infandos Troiae miserata labores,
Nous qui sommes les rescapés des Grecs, aujourd’hui anéantis par tous
quae nos, reliquias Danaum, terraeque marisque
Les hasards rencontrés sur terre et sur mer, démunis de tout,
omnibus exhaustos iam casibus, omnium egenos,
[600] Tu nous offres de partager ta ville, ta demeure ! Acquitter notre dette
600 urbe, domo socias, grates persoluere dignas
De reconnaissance, Didon, n’est pas en nos moyens, ni avec tout ce qui peut
non opis est nostrae, Dido, nec quicquid ubique est
Rester du peuple de Dardanus éparpillé dans le vaste monde.
gentis Dardaniae, magnum quae sparsa per orbem.
Puissent les dieux, s’il se trouve des divinités attentives aux êtres pieux, s’il est
Di tibi, si qua pios respectant numina, si quid
Une justice quelque part et un esprit ayant la connaissance du bien,
usquam iustitia est et mens sibi conscia recti,
[605] Te récompenser comme il se doit ! Heureux sont les temps
605 praemia digna ferant. Quae te tam laeta tulerunt
Qui t’ont vue naître ! Grands sont les parents qui t’ont engendrée telle que tu es !
saecula ? Qui tanti talem genuere parentes ?
Aussi longtemps que les fleuves iront à la mer, que les ombres des montagnes
In freta dum fluuii current, dum montibus umbrae
Danseront autour des vallées, que le ciel fera paître les étoiles,
lustrabunt conuexa, polus dum sidera pascet,
Toujours dureront les hommages, la mémoire de ton nom et les louanges,
semper honos nomenque tuum laudesque manebunt,
[610] Quelle que soit la terre qui m’appelle. » Ainsi parla-t-il,
610 quae me cumque uocant terrae.’ Sic fatus, amicum
Et il alla prendre Ilionée de sa main droite, Séreste de sa gauche,
Ilionea petit dextra, laeuaque Serestum,
Et les autres après, et le vaillant Gyas et le vaillant Cloanthe.
post alios, fortemque Gyan fortemque Cloanthum.
La Sidonienne, Didon, stupéfaite tout d’abord de la vision,
Obstipuit primo aspectu Sidonia Dido,
Puis de l’immense infortune du héros, parla ainsi de sa bouche :
casu deinde uiri tanto, et sic ore locuta est :
[615] « Quelle infortune, fils d’une déesse, te poursuit
615 ’Quis te, nate dea, per tanta pericula casus
D’aventure en aventure ? Quelle puissance te jette sur ces côtes sauvages ?
insequitur ? Quae uis immanibus applicat oris ?
Car tu es bien cet Énée que, pour le Dardanien Anchise,
Tune ille Aeneas, quem Dardanio Anchisae
La bonne Vénus mit au monde près du fleuve Phrygien, près du Simoïs ?
alma Venus Phrygii genuit Simoentis ad undam ?
Et quant à moi je me souviens de Teucer venant à Sidon.
Atque equidem Teucrum memini Sidona uenire
Chassé du pays de son père, il se cherchait un nouveau royaume
620 finibus expulsum patriis, noua regna petentem
Avec l’aide de Bélus. Bélus, mon père, ravageait à l’époque la fertile
auxilio Beli ; genitor tum Belus opimam
Chypre et, vainqueur, la tenait sous sa domination.
uastabat Cyprum, et uictor dicione tenebat.
Depuis ce temps-là le sort de la ville de Troie m’est bien connu,
Tempore iam ex illo casus mihi cognitus urbis
Ainsi que ton nom, et les rois Pélasges.
Troianae nomenque tuum regesque Pelasgi.
[625] Lui-même, bien que leur ennemi, faisait des Troyens un singulier éloge
625 Ipse hostis Teucros insigni laude ferebat,
Et prétendait descendre de l’antique souche des Troyens.
seque ortum antiqua Teucrorum ab stirpe uolebat.
C’est pourquoi allez, ô jeunes gens, pénétrez sous notre toit.
Quare agite, O tectis, iuuenes, succedite nostris.
Moi aussi, secouée par de nombreuses épreuves, une fortune semblable
Me quoque per multos similis fortuna labores
A voulu que je m’arrête finalement sur cette terre.
iactatam hac demum uoluit consistere terra.
[630] Je ne suis pas ignorante du malheur, pour apprendre à secourir les malheureux. »
630 Non ignara mali, miseris succurrere disco.’