Accueil > Traductions > Latin > Horace > Satires > Satires Livre I > Horace, Satires I 2 | L’argent encore... et le sexe

Horace, Satires I 2 | L’argent encore... et le sexe

vendredi 11 novembre 2011, par Danielle Carlès

Les confréries de musiciennes, les charlatans, les mendiants, les danseuses, les camelots, tout ce petit monde est plongé dans la tristesse et l’inquiétude par la mort du chanteur Tigellius. C’est qu’il était généreux ! Tout au contraire en voilà un qui a peur d’être taxé de prodigue. Il est capable de refuser à un ami dans le besoin de quoi se prémunir contre les affres du froid et de la faim ! Cet autre met en coupe réglée le remarquable héritage de son père et de son grand-père, pour le plaisir de son estomac - qui ne lui en sait aucun gré ! Il emprunte pour ramener toute sorte de victuailles de tous les coins du monde. Si tu l’interroges sur sa conduite, il répond qu’il ne voudrait pas passer pour un avare et un esprit mesquin. Les uns l’applaudissent, d’autres le blâment. (1-11)

Fufidius, lui, redoute les noms de "dissipateur" et de "débauché". Il est riche, il a des terres et de l’argent qu’il prête à usure, prélevant sur le capital jusqu’à cinq pour cent par mois. Plus grande est la détresse d’un emprunteur, plus rigoureuses sont ses exigences. Il recherche particulièrement des clients parmi les jeunes gens qui viennent tout juste de prendre la toge virile et font leurs premières armes sous l’autorité d’un père trop strict. "Par le grand Jupiter !" ne peux-tu t’empêcher de t’exclamer en me lisant "mais au moins il dépense pour lui-même à proportion des profits qu’il réalise ?" Lui ? Difficile d’imaginer à quel point cet homme est l’ennemi de lui-même. Même le père que Térence a mis en scène dans la pièce du même nom, ce père qui ne peut plus vivre heureux depuis qu’il a poussé son propre fils à l’exil, même lui ne s’imposait pas une gêne plus grande. (12-22)

On va me demander : "Où veux-tu en venir avec ces exemples ?" A ça : les imbéciles n’évitent un défaut qu’en se précipitant sur le défaut contraire. Maltinus se promène en robe longue. Un autre, plein d’élégance, retrousse sa tunique jusqu’à montrer son entre-jambe. Rufillus parfume son haleine à la pastille de menthe. Gargonius sent le bouc. Pas de milieu ! Certains ne veulent faire l’amour qu’aux femmes dont la tenue comporte une bordure cousue au bas de la robe pour cacher les talons. Mais un autre à l’inverse ne touche qu’aux pensionnaires d’un bordel puant. Un fils de famille sortait du bordel. "Bravo ! C’est très bien !" lui lança Caton, avec son divin bon sens "quand le désir qui gonfle tes veines devient insupportable, c’est ici en effet, jeune homme, qu’il faut descendre, plutôt que de labourer une femme mariée". "Je ne voudrais pas mériter ce genre de félicitation !" dit Cupiennius, lui qui n’aime que les culs en robe blanche. (23-36)

O vous qui ne voulez pas voir réussir les entreprises adultères, écoutez, cela en vaut la peine, les épreuves qui les guettent de toute part, les cruels dangers auxquels trop souvent ils s’exposent, pour une jouissance gâchée par de multiples tourments, et encore, bien rarement obtenue ! L’un s’est jeté du haut d’un toit, un autre a été fouetté à mort. Celui-ci en s’enfuyant est tombé sur une bande de féroces brigands, celui-là a dû payer pour racheter sa vie. Un autre s’est fait enculer par des valets d’écurie. Bien pire ! Il est déjà arrivé que quelqu’un vienne trancher au fer les testicules et la queue coupables de lubricité. "Le droit l’autorise" de l’avis de tous, sauf de Galba [1]. (37-46)

La catégorie en dessous offre vraiment un commerce moins risqué, je veux parler des affranchies. Pour elles cependant, Salluste [2] ne se rend pas moins fou que ceux qui prônent l’adultère. S’il le voulait, il pourrait se permettre d’être libéral et généreux à la mesure de sa fortune et des conseils de la raison, dans les limites d’une sage munificence. Il donnerait juste ce qu’il faut, sans s’exposer à la ruine et à la honte. Mais il ne retient qu’une seule chose, il ne s’applaudit, il ne se targue que de cette seule vertu : "Moi, je ne touche jamais à une femme mariée !". C’est la même chose pour Marsæus, un amant d’Origo [3], qui donne en cadeau à cette danseuse de pantomime ses propriétés et sa maison de famille : "Jamais on ne me verra fréquenter l’épouse d’un autre !" dit-il. Bien ! Mais tu fréquentes des danseuses, tu fréquentes des courtisanes, ce qui entame ta réputation plus sévèrement encore que ta fortune. Tu crois apparemment qu’il est largement suffisant d’éviter une certaine catégorie de personnes, et non un comportement préjudiciable, peu importe avec qui ? Ruiner sa réputation, couvrir de boue l’héritage de son père, c’est mal, quelles que soient les circonstances. Alors, quelle importance que la faute soit commise avec une matrone, une servante ou une prostituée ? (47-63)

Villius n’avait couché avec Fausta que pour mériter le titre de gendre de Sylla, séduit, le pauvre homme, par le seul attrait de ce grand nom. Il en paya le prix autant et plus qu’il ne le méritait : bourré de coup de poings, pourchassé à l’épée, on le jeta dehors, tandis que Longarénus tenait la place à l’intérieur. [4] Imaginons qu’au milieu de tels maux il ait prêté en esprit la parole à son pénis. Voici ce qu’il aurait pu dire : "A quoi penses-tu ? Est-ce que je réclame, moi, un cul d’origine consulaire, habillé de la stola, quand la fièvre du désir me fait enrager ?" Et lui, qu’aurait-il répondu ? "Ma maîtresse, c’est la fille de son père, un homme célèbre !" Non, non ! La nature est de bien meilleur conseil et dans un sens complèment opposé à ces mauvais principes, la nature, riche de sa propre richesse ! Il ne s’agit que d’en administrer les ressources avec bon sens, en se gardant de mélanger ce qu’il est bien de rechercher avec ce qu’il faut fuir. Souffrir par ta propre faute ou à cause des circonstances, crois-tu que c’est la même chose ? Alors, sauf à t’en repentir un jour, cesse de courtiser les matrones de haut rang ! Avec elles, il y a plus de pénibles tourments à gagner que de profit à retirer. (64-79)

Cette femme, avec toutes ses perles, toutes ses émeraudes (pardon, Cérinthe, de venir sur ton terrain), n’en a pas la cuisse plus voluptueuse, ni la jambe plus droite. Bien souvent même, on trouve mieux sous la toge, et de plus, la marchandise n’y est pas maquillée, tout ce qui est à vendre est montré sans truquage. On ne se pavane pas en faisant étalage de quelque avantage physique, tout en cherchant à dissimuler les défauts. Chez les rois, on a l’habitude, pour acheter un cheval, de lui faire passer un examen caché sous une couverture. Ainsi, au cas où une belle apparence reposerait sur des chevilles faibles, comme il arrive souvent, l’acquéreur bouche bée ne risque pas de s’emballer sur la beauté de la croupe, la petitesse de la tête ou le port altier de la nuque. C’est une bonne méthode. Il vaut mieux éviter de porter les yeux de Lyncée [5] sur ce qu’il y a de mieux, et d’être plus aveugle qu’Hypséa sur tout ce qui cloche. "Ah ! cette jambe ! Ah ! Ce bras !" Oui, mais pas de fesses, un gros nez, le buste court et un pied trop grand ! (80-93)

D’une matrone, tu ne peux rien voir, en dehors de son visage. Pour le reste, sauf s’il s’agit de Catia, tout est caché sous une tenue tombant jusqu’à terre. Si tu entreprends de trouver l’endroit interdit, bien défendu dans son retranchement (car c’est ça qui te rend fou !), tu trouveras sur ton chemin une foule d’obstacles : des chaperons, une chaise fermée, des coiffeurs, des confidentes, la robe longue jusqu’aux talons, le châle drappé par dessus. On ne compte plus tout ce qui empêche jalousement que la chose t’apparaisse dans son naturel. Mais chez l’autre, pas de gêne ! Avec la gaze de Cos, tu la vois presqu’aussi bien que si elle était nue, sans risquer de tomber sur une jambe mal faite, sur un vilain pied. De l’œil, tu peux jauger toute la personne. A moins que tu ne préfères être piégé ? et qu’on t’arrache le prix avant de t’avoir montré la marchandise ? Ici, on me ressort l’histoire du chasseur qui piste le lièvre jusque dans la neige profonde, mais refuse d’y toucher s’il peut l’avoir sans effort, et l’on ajoute : "Semblable à lui est mon amour. Il fuit ce qu’il a sous les yeux. Ce qui le fuit, il veut l’avoir." Et tu comptes sur ces mauvais petits vers pour te consoler des souffrances, des troubles et des soucis qui pèsent sur ton cœur ? (94-110)

N’y a-t-il pas mieux à faire ? Comme de rechercher pour nos désirs une satisfaction naturelle, en apprenant à connaître la limite du supportable ou de l’intolérable dans la privation, et en séparant les vraies questions des faux problèmes. Ainsi, quand la soif te dessèche le gosier, demandes-tu une coupe en or ? Quand tu meurs de faim, fais-tu le délicat, n’exigeant que du paon et du turbot ? Et lorsque ton membre se gonfle, si tu as chez toi une servante ou un petit esclave complaisant que tu peux entreprendre sans délai, préfères-tu rester tendu à en crever ? Pas moi ! J’aime le sexe simple et facile. (111-119)

Celle des "Dans un moment !", "Mais je vaux plus que ça !", "Quand mon mari sera sorti !", elle est bonne pour un prêtre de Cybèle, dit Philodème, mais pour lui-même il en veut une qui ne lui coûte pas cher et ne le fasse pas attendre quand il la demande. Qu’elle soit fraîche et bien faite, soignée de sa personne, soit ! Mais pas au point de vouloir paraître plus élancée et plus blanche qu’au naturel. Car, dès que son côté gauche s’est glissé sous mon côté droit, elle devient une Ilia, une Égérie. Je lui donne le nom qu’il me plaît, et je n’ai pas à craindre, pendant que je la baise, le mari qui rentre de la campagne, la porte qu’on enfonce, le chien qui aboie, le remue-ménage et un vacarme épouvantable dans toute la maison, la femme qui saute du lit, toute pâle, la confidente qui crie qu’elle est perdue. Celle-ci a peur pour ses jambes, l’épouse démasquée pour sa dot, et moi, pour ma vie. Il faut fuir, débraillé, pieds nus, au risque d’y laisser sa bourse, ses fesses ou sa réputation. La chose pénible, c’est d’être interrompu avant la fin. J’aurai gain de cause sur ce point, même au jugement de Fabius [6](120-134)

À propos de :

Fufidius (v. 13), Maltinus (v. 25), Rufillus (v. 27), Gargonius (v. 27), Cupiennius (v. 36), Marséus (v. 55), Cérinthe (v. 81), Hypséa (v. 91), Catia (v. 95), il n’y a guère de commentaire à apporter. Les personnages ne sont pas autrement connus, ou de manière incertaine.

Codes vestimentaires féminins dans la Rome d’Horace

Les femmes convenables portent une longue robe à plis, la stola, sur un vêtement de dessous, la tunique (tunica). La robe est ceinturée, et parfois bordée au bas d’une bande (instita) qui traîne par terre. Elles jettent par dessus un grand châle de tissu drapé, retenu sur l’épaule, la palla.
La toge est une pièce d’étoffe drapée sur le corps d’une manière précise et assez compliquée. Il s’agit normalement d’un vêtement masculin d’apparat, qui devient une marque d’infamie sur les épaules d’une femme. La toge est portée par les femmes convaincues d’adultère et les courtisanes. Le mot togata est traduit ici par "prostituée".
La couleur blanche revient aux matrones, tandis que les couleurs foncées ou vives sont portées par les servantes et les prostituées.


[1Nom d’un jurisconsulte romain (et qui sait, adultère lui-même ?).

[2Probablement le neveu et le fils adoptif du célèbre historien romain du même nom.

[3Célèbre danseuse de mime de l’époque.

[4Lucius Cornelius Sylla (ou Sulla) (138 av. J.-C. - 78 av. J.-C.) est un homme d’État romain, qui fut consul et dictateur. Sa fille Fausta, mariée à Millon, passe pour avoir eu plusieurs amants, dont Villius et Longarénus, cités dans le texte.

[5Dans la mythologie grecque, un argonaute réputé pour sa vue perçante. Cf l’oeil de "lynx".

[6Encore un jurisconsulte réputé adultère, et stoïcien.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.