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Virgile, Énéide III v. 463-491 | Adieux à Buthrote

samedi 9 novembre 2013, par Danielle Carlès

Après ces paroles, prononcées par une bouche amicale, le devin

ordonne que de lourds cadeaux, d’or et d’ivoire taillé,

[465] soient portés aux navires et il entasse dans nos carènes

des monceaux d’argenterie, des bassins rituels de Dodone,

une cotte à triple maillage en or

et la pointe surmontant un casque remarquable avec sa crête chevelue :

l’armure de Néoptolème. Mon père aussi a des cadeaux pour lui.

[470] Il donne en plus des chevaux, il donne en plus des guides,

il complète les bancs de rame et tout à la fois équipe nos compagnons.

Entre temps donnait l’ordre de préparer la flotte avec les voiles

Anchise, soucieux d’éviter le moindre retard au vent portant. [1]

L’interprète de Phébus s’adresse à lui avec de grandes marques de respect :

[475] « Anchise, jugé digne par Vénus d’une magnifique union,

sollicitude des dieux, deux fois arraché à la ruine de Pergame,

voici devant toi la terre d’Ausonie : va la saisir à la voile !

Il te faut pourtant cette terre la longer d’abord du côté de la mer.

Elle est loin cette région de l’Ausonie que dévoile Apollon.

[480] Va, dit-il, ô bienheureux par la piété de ton fils. Pourquoi céder plus avant

à ce transport et faire attendre en parlant les austers qui se lèvent ? »

Andromaque n’était pas moins triste au moment de cette ultime séparation.

Elle apporte des étoffes chamarrées tramées d’un fil d’or

et une chlamyde phrygienne pour Ascagne, et ne le cède pas en marques d’attention,

[485] elle le couvre d’objets tissés en cadeau et voici ce qu’elle lui dit :

« Reçois également ceux-ci, qu’ils soient pour toi le souvenir de mes mains,

enfant, et témoignent de l’amour sans fin d’Andromaque,

femme d’Hector. Prends ces derniers cadeaux des tiens,

ô toi, seule image qui me reste de mon cher Astyanax.

[490] Il avait tes yeux, il avait tes mains, ton visage,

et aujourd’hui au même âge que toi il serait en train de devenir un homme. »


Lecture avec le texte latin

Après ces paroles, prononcées par une bouche amicale, le devin

Quae postquam uates sic ore effatus amico est,

ordonne que de lourds cadeaux, d’or et d’ivoire taillé,

dona dehinc auro grauia sectoque elephanto

[465] soient portés aux navires et il entasse dans nos carènes

465 imperat ad nauis ferri, stipatque carinis

des monceaux d’argenterie, des bassins rituels de Dodone,

ingens argentum, Dodonaeosque lebetas,

une cotte à triple maillage en or

loricam consertam hamis auroque trilicem,

et la pointe surmontant un casque remarquable avec sa crête chevelue :

et conum insignis galeae cristasque comantis,

l’armure de Néoptolème. Mon père aussi a des cadeaux pour lui.

arma Neoptolemi ; sunt et sua dona parenti.

[470] Il donne en plus des chevaux, il donne en plus des guides,

470 Addit equos, additque duces ;

il complète les bancs de rame et tout à la fois équipe nos compagnons.

remigium supplet ; socios simul instruit armis.

Entre temps donnait l’ordre de préparer la flotte avec les voiles

Interea classem uelis aptare iubebat

Anchise, soucieux d’éviter le moindre retard au vent portant.

Anchises, fieret uento mora ne qua ferenti.

L’interprète de Phébus s’adresse à lui avec de grandes marques de respect :

Quem Phoebi interpres multo compellat honore :

[475] « Anchise, jugé digne par Vénus d’une magnifique union,

475 ’Coniugio, Anchise, Veneris dignate superbo,

sollicitude des dieux, deux fois arraché à la ruine de Pergame,

cura deum, bis Pergameis erepte ruinis,

voici devant toi la terre d’Ausonie : va la saisir à la voile !

ecce tibi Ausoniae tellus ; hanc arripe uelis.

Il te faut pourtant cette terre la longer d’abord du côté de la mer.

Et tamen hanc pelago praeterlabare necesse est ;

Elle est loin cette région de l’Ausonie que dévoile Apollon.

Ausoniae pars illa procul, quam pandit Apollo.

[480] Va, dit-il, ô bienheureux par la piété de ton fils. Pourquoi céder plus avant

480 Vade’ ait ’O felix nati pietate. Quid ultra

à ce transport et faire attendre en te parlant les austers qui se lèvent ? »

prouehor, et fando surgentis demoror austros ?’

Andromaque n’était pas moins triste au moment de cette ultime séparation.

Nec minus Andromache digressu maesta supremo

Elle apporte des étoffes chamarrées tramées d’un fil d’or

fert picturatas auri subtemine uestes

et une chlamyde phrygienne pour Ascagne, et ne le cède pas en marques d’attention,

et Phrygiam Ascanio chlamydem nec cedit honore,

[485] elle le couvre d’objets tissés en cadeau et voici ce qu’elle lui dit :

485 textilibusque onerat donis, ac talia fatur :

« Reçois également ceux-ci, qu’ils soient pour toi le souvenir de mes mains,

’Accipe et haec, manuum tibi quae monumenta mearum

enfant, et témoignent de l’amour sans fin d’Andromaque,

sint, puer, et longum Andromachae testentur amorem,

femme d’Hector. Prends ces derniers cadeaux des tiens,

coniugis Hectoreae. Cape dona extrema tuorum,

ô toi, seule image qui me reste de mon cher Astyanax.

O mihi sola mei super Astyanactis imago :

[490] Il avait tes yeux, il avait tes mains, ton visage,

490 sic oculos, sic ille manus, sic ora ferebat ;

et aujourd’hui au même âge que toi il serait en train de devenir un homme. »

et nunc aequali tecum pubesceret aeuo.’


[1La première version de ces deux vers était la suivante :

Entre temps Anchise ordonnait de préparer la flotte pour les voiles,
 
afin éviter le moindre retard à prendre le vent portant.

Voyez les commentaires pour la question et les raisons qui m’ont amenée à en modifier la traduction.

Messages

  • Fascinée par les prodiges que tu fais pour respecter le plus possible l’ordre des mots. Je rêvais sur ce vers dont le sujet, Anchise, était au vers suivant, impossible évidemment à rendre. Me demandais ce que ça faisait quand on écoutait les phrases, ainsi, que le sujet apparaisse ensuite. Je ne sais pas si ma question a du sens … mais si tu peux m’éclairer, ça me ferait rêver encore plus.

    • Chère Isabelle, non seulement ta question a du sens, mais elle est même fondamentale, et j’ai pris le temps d’y réfléchir avant de répondre. La grande chance d’être lue par une lectrice telle que toi !
      D’ordinaire en latin le sujet est en tête, l’ordre canonique = S O V (Sujet Objet Verbe). Le rejet du sujet, et de plus sur un vers différent, en tête, implique un effet et j’ai cédé à la facilité en ne respectant pas cet effet, qui a du sens bien entendu : il s’agit de faire entendre la position toujours prépondérante d’Anchise dans la conduite de l’expédition, c’est lui qui prend les décisions, même si l’élu du destin est Énée. La piété (filiale) d’Énée s’exprime dans le respect de ce qu’il doit à son père en tant que chef tout autant que dans l’affection qu’il lui témoigne.
      Du coup je crois qu’il faut réécrire les deux vers en question :

      Entre temps donnait l’ordre de préparer la flotte avec les voiles
      Anchise, soucieux d’éviter le moindre retard au vent portant.

      Je crois qu’ainsi on a une petite idée de ce que ça fait, le sujet arrivant à la fin, peut-être pas si différent de ce que ça fait en français. Bon, il y a des limites à ce qu’on peut faire, bien sûr. Là il faut voir si ça reste lisible en français, mais je crois.
      Isabelle MERCI !

    • Me relisant je vois une accumulation de "je crois", et je crois que ça veut beaucoup dire, mais ce n’est pas terrible. Je laisse.

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