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Virgile, Énéide III v. 300-343 | Le destin d’Andromaque

mercredi 23 octobre 2013, par Danielle Carlès

[300] Je quitte le port et je m’avance, laissant derrière moi la flotte et le rivage.

juste à l’instant où par hasard en sacrifice annuel et offrandes funèbres

devant la ville près des eaux d’une apparence de Simoïs,

Andromaque faisait des libations sur la cendre et invoquait les Mânes

au pied d’un tertre en l’honneur d’Hector, mais vide, et deux autels

[305] sanctifiés par elle avec du gazon vert, à cause de quoi elle pleurait.

Quand elle me vit arriver, qu’elle aperçut les armes de Troie autour d’elle

avec égarement, épouvantée par la grandeur de ces prodiges,

elle se figea devant mon apparition, la chaleur abandonna ses os.

Elle chancelle et à peine réussit-elle enfin à parler après un long moment :

[310] « Ton apparence est-elle véritable ? Viens-tu à moi en véritable messager,

fils d’une déesse ? Es-tu vivant ? Mais, si la bienfaisante lumière s’est retirée de toi,

où se trouve Hector ? » À ces mots elle fondit en larmes et de ses cris

emplit tout le lieu. Un tel excès de douleur à peine me permet une brève

réponse. Bouleversé, ma bouche ne s’ouvre que sur quelques mots décousus :

[315] « Oui, oui, je suis vivant et je poursuis ma vie à travers d’extrêmes périls,

ne doute pas, oui, ce que tu vois est vrai.

Hélas, quel nouveau malheur après la perte d’un tel époux

t’a frappé ? ou quelle fortune à la hauteur de ton mérite est revenue te trouver,

Andromaque, femme d’Hector ? Es-tu toujours unie à Pyrrhus ? »

[320] Elle baissa les yeux et, à faible voix, parla :

« Ô le bonheur unique de la vierge Priamide, seule entre toutes, [1]

qui, sur un tombeau ennemi, au pied des hauts remparts de Troie,

fut mise à mort, qui n’a eu à subir aucun tirage au sort

et ne s’est pas trouvée, captive, dans le lit du vainqueur et d’un maître.

[325] Nous, quand notre patrie a brûlé, transportée de l’autre côté des mers,

nous avons subi l’arrogant rejeton d’Achille, la morgue de sa jeunesse,

et dans la servitude, enfanter. Ensuite, il a poursuivi

la fille de Léda, Hermione, pour un mariage lacédémonien

et il m’a remise à Hélénus, serve donnée à un serf.

[330] Mais alors, plus que jamais enflammé d’amour pour l’épouse

qu’on lui avait ravie et tourmenté par les Furies à cause de ses crimes, Oreste

le surprend quand il ne s’y attend pas et le tue devant les autels de ses pères.

À la mort de Néoptolème, une partie de son royaume est revenue

à Hélénus. Il a nommé ces terres « chaoniennes »

[335] et « Chaonie » la totalité du sol, d’après le nom du Troyen Chaon.

Il a ajouté une Pergame, cette citadelle troyenne, sur la colline.

Mais toi, quels vents ont décidé de ta route, quel destin ?

Quel dieu t’a poussé sur nos terres sans que tu saches rien ?

Et ton enfant Ascagne ? Est-il vivant, jouit-il du souffle de l’air ?

[340] Lui qui déjà pour toi à Troie... [2]

Est-ce que pourtant cet enfant s’inquiète de la perte de sa mère ?

Est-ce que s’éveille en lui le goût pour l’ancienne vertu et le courage héroïque

à l’exemple de son père, Énée et de son oncle, Hector ? »


Lecture avec le texte latin

[300] Je quitte le port et je m’avance, laissant derrière moi la flotte et le rivage.

300 Progredior portu, classis et litora linquens,

juste à l’instant où par hasard en sacrifice annuel et offrandes funèbres

sollemnis cum forte dapes et tristia dona

devant la ville près des eaux d’une apparence de Simoïs,

ante urbem in luco falsi Simoentis ad undam

Andromaque faisait des libations sur la cendre et invoquait les Mânes

libabat cineri Andromache, Manisque uocabat

au pied d’un tertre en l’honneur d’Hector, mais vide, et deux autels

Hectoreum ad tumulum, uiridi quem caespite inanem

[305] sanctifiés par elle avec du gazon vert, à cause de quoi elle pleurait.

305 et geminas, causam lacrimis, sacrauerat aras.

Quand elle me vit arriver, qu’elle aperçut les armes de Troie autour d’elle

Ut me conspexit uenientem et Troia circum

avec égarement, épouvantée par la grandeur de ces prodiges,

arma amens uidit, magnis exterrita monstris

elle se figea devant mon apparition, la chaleur abandonna ses os.

deriguit uisu in medio, calor ossa reliquit ;

Elle chancelle et à peine réussit-elle enfin à parler après un long moment :

labitur, et longo uix tandem tempore fatur :

[310] « Ton apparence est-elle véritable ? Viens-tu à moi en véritable messager,

310 ’Verane te facies, uerus mihi nuntius adfers,

fils d’une déesse ? Es-tu vivant ? Mais, si la bienfaisante lumière s’est retirée de toi,

nate dea ? Viuisne, aut, si lux alma recessit,

où se trouve Hector ? » À ces mots elle fondit en larmes et de ses cris

Hector ubi est ?’ Dixit, lacrimasque effudit et omnem

emplit tout le lieu. Un tel excès de douleur à peine me permet une brève

impleuit clamore locum. Vix pauca furenti

réponse. Bouleversé, ma bouche ne s’ouvre que sur quelques mots décousus :

subicio, et raris turbatus uocibus hisco :

[315] « Oui, oui, je suis vivant et je poursuis ma vie à travers d’extrêmes périls,

315 ’uiuo equidem, uitamque extrema per omnia duco ;

ne doute pas, oui, ce que tu vois est vrai.

ne dubita, nam uera uides.

Hélas, quel nouveau malheur après la perte d’un tel époux

Heu, quis te casus deiectam coniuge tanto

t’a frappé ? ou quelle fortune à la hauteur de ton mérite est revenue te trouver,

excipit, aut quae digna satis fortuna reuisit

Andromaque, femme d’Hector ? Es-tu toujours unie à Pyrrhus ? »

Hectoris Andromachen ? Pyrrhin’ conubia seruas ?’

[320] Elle baissa les yeux et, à faible voix, parla :

320 Deiecit uoltum et demissa uoce locuta est :

« Ô le bonheur unique de la vierge Priamide, seule entre toutes,

’O felix una ante alias Priameia uirgo,

qui, sur un tombeau ennemi, au pied des hauts remparts de Troie,

hostilem ad tumulum Troiae sub moenibus altis

fut mise à mort, qui n’a eu à subir aucun tirage au sort

iussa mori, quae sortitus non pertulit ullos,

et ne s’est pas trouvée, captive, dans le lit du vainqueur et d’un maître.

nec uictoris eri tetigit captiua cubile !

[325] Nous, quand notre patrie a brûlé, transportée de l’autre côté des mers,

325 nos, patria incensa, diuersa per aequora uectae,

nous avons subi l’arrogant rejeton d’Achille, la morgue de sa jeunesse,

stirpis Achilleae fastus iuuenemque superbum,

et dans la servitude, enfanter. Ensuite, il a poursuivi

seruitio enixae, tulimus : qui deinde, secutus

la fille de Léda, Hermione, pour un mariage lacédémonien,

Ledaeam Hermionen Lacedaemoniosque hymenaeos,

et il m’a remise à Hélénus, serve donnée à un serf.

me famulo famulamque Heleno transmisit habendam.

[330] Mais alors, plus que jamais enflammé d’amour pour l’épouse

330 Ast illum, ereptae magno inflammatus amore

qu’on lui avait ravie et tourmenté par les Furies à cause de ses crimes, Oreste

coniugis et scelerum Furiis agitatus, Orestes

le surprend quand il ne s’y attend pas et le tue devant les autels de ses pères.

excipit incautum patriasque obtruncat ad aras.

À la mort de Néoptolème, une partie de son royaume est revenue

Morte Neoptolemi regnorum reddita cessit

à Hélénus. Il a nommé ces terres « chaoniennes »

pars Heleno, qui Chaonios cognomine campos

[335] et « Chaonie » la totalité du sol, d’après le nom du Troyen Chaon.

335 Chaoniamque omnem Troiano a Chaone dixit,

Il a ajouté une Pergame, cette citadelle troyenne, sur la colline.

Pergamaque Iliacamque iugis hanc addidit arcem.

Mais toi, quels vents ont décidé de ta route, quel destin ?

Sed tibi qui cursum uenti, quae fata dedere ?

Quel dieu t’a poussé sur nos terres sans que tu saches rien ?

Aut quisnam ignarum nostris deus adpulit oris ?

Et ton enfant Ascagne ? Est-il vivant, jouit-il du souffle de l’air ?

Quid puer Ascanius ? superatne et uescitur aura,

[340] Lui qui déjà pour toi à Troie...

340 quem tibi iam Troia---

Est-ce que pourtant cet enfant s’inquiète de la perte de sa mère ?

Ecqua tamen puero est amissae cura parentis ?

Est-ce que s’éveille en lui le goût pour l’ancienne vertu et le courage héroïque

Ecquid in antiquam uirtutem animosque uirilis

à l’exemple de son père, Énée, et de son oncle, Hector ? »

et pater Aeneas et auunculus excitat Hector ?’ »


[1Il s’agit de Polyxène.

[2Le vers est incomplet.

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