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Virgile, Énéide III v. 209-258 | Les Harpyes
jeudi 17 octobre 2013, par
Sans dommage infligé par les flots, le rivage des Strophades tout d’abord
[210] m’accueille. Les Strophades portent un nom grec, ce sont
des îles situées dans la grande mer Ionienne, et la funeste Céléno
avec les autres Harpyes l’habitent, après qu’on leur a fermé
la maison de Phinée, que la peur les a fait abandonner leurs premières tables.
Pas un monstre plus sinistre que celles-là, ni un fléau et
[215] une colère divine plus cruelle, n’a surgi des eaux du Styx.
Des oiseaux avec un visage de fillette, une ignoble diarrhée
de fientes, des mains crochues, et toujours le teint
blême de la faim.
Arrivés là, quand nous sommes entrés au port, voici que
[220] nous apercevons ça et là dans la campagne de gras troupeaux de bœufs,
et des bandes de chèvres sans gardien, au milieu de l’herbe.
Nous nous jetons dessus, fer au poing, en invitant les dieux et même
Jupiter au partage de nos proies. Puis sur la grève courbe,
nous dressons des lits et nous nous régalons d’un somptueux festin.
[225] Mais tout à coup dans un vol plané terrifiant du haut des montagnes,
les Harpyes sont sur nous, et elles claquent des ailes, hurlent en glapissant,
pillent nos viandes et salissent tout à leur contact
immonde, puis leur voix infernale dans une puanteur sinistre.
Une deuxième fois dans une baie en longueur sous la paroi creusée
nous dressons les tables et replaçons les feux sur les autels.
une deuxième fois venant d’un autre côté du ciel et de repaires obscurs,
la horde bruyante tourne autour de nos prises avec ses pattes crochues,
souille nos viandes de ses bouches. Je dis alors à mes compagnons
[235] de prendre leurs armes et qu’il faut faire la guerre à cette engeance sinistre.
Aussitôt dit, aussitôt fait, et ils cachent dans l’herbe
les épées, dissimulent leurs boucliers à portée de main.
Ainsi, dès que se fait entendre le bruit de leur descente sur le rivage
courbe, Misène donne le signal depuis un poste d’observation en hauteur
[240] avec une trompe d’airain. Mes amis attaquent et tentent, dans un combat extraordinaire,
de blesser par le fer les hideux oiseaux de mer,
mais leurs plumes évincent les coups, leur dos est invulnérable,
et elles prennent la fuite, remontent vers les astres dans un vif glissement,
laissant derrière elles nos prises à demi mangées et leurs traces ignobles.
[245] Une s’est posée sur un rocher surélevé, Céléno,
prophétesse de mauvais augure, et elle fait jaillir sa voix de sa poitrine :
« La guerre ? en plus de massacrer nos bœufs, d’abattre nos taureaux,
fils de Laomédon, vous êtes prêts à engager la guerre
et chasser les Harpyes du royaume de leur père alors elles n’ont rien fait ?
[250] Eh bien, écoutez avec attention et gravez dans votre cœur ce que je vais dire,
que le Père tout-puissant a prédit à Phébus, puis à moi Phébus Apollon,
et qu’à vous, moi, l’aînée des Furies, je découvre :
Votre but est l’Italie et vous demandez aux vents de vous y conduire ?
Vous irez en Italie, vous pourrez entrer au port,
[225] mais vous ne ceindrez pas la ville promise de ses remparts
que votre appétit funeste et votre injuste massacre ne vous aient d’abord
contraints à manger vos tables, à les broyer de vos mâchoires. »
Elle finit de parler et s’enfuit d’un coup d’aile à l’intérieur de la forêt.
Lecture avec le texte latin
Sans dommage infligé par les flots, le rivage des Strophades tout d’abord
Seruatum ex undis Strophadum me litora primum
[210] m’accueille. Les Strophades portent un nom grec, ce sont
210 accipiunt ; Strophades Graio stant nomine dictae,
des îles situées dans la grande mer Ionienne, et la funeste Céléno
insulae Ionio in magno, quas dira Celaeno
avec les autres Harpyes l’habitent, après qu’on leur a fermé
Harpyiaeque colunt aliae, Phineia postquam
la maison de Phinée, que la peur les a fait abandonner leurs premières tables.
clausa domus, mensasque metu liquere priores.
Pas un monstre plus sinistre que celles-là, ni un fléau et
Tristius haud illis monstrum, nec saeuior ulla
[215] une colère divine plus cruelle n’a surgi des eaux du Styx.
215 pestis et ira deum Stygiis sese extulit undis.
Des oiseaux avec un visage de fillette, une ignoble diarrhée
Virginei uolucrum uoltus, foedissima uentris
de fientes, des mains crochues, et toujours le teint
proluuies, uncaeque manus, et pallida semper
blême de la faim.
ora fame.
Arrivés là, quand nous sommes entrés au port, voici que
Huc ubi delati portus intrauimus, ecce
[220] nous apercevons ça et là dans la campagne de gras troupeaux de bœufs,
220 laeta boum passim campis armenta uidemus,
et des bandes de chèvres sans gardien, au milieu de l’herbe.
caprigenumque pecus nullo custode per herbas.
Nous nous jetons dessus, fer au poing, en invitant les dieux et même
Inruimus ferro, et diuos ipsumque uocamus
Jupiter au partage de nos proies. Puis sur la grève courbe,
in partem praedamque Iouem ; tum litore curuo
nous dressons des lits et nous nous régalons d’un somptueux festin.
exstruimusque toros, dapibusque epulamur opimis.
[225] Mais tout à coup dans un vol plané terrifiant du haut des montagnes,
225 At subitae horrifico lapsu de montibus adsunt
les Harpyes sont sur nous, et elles claquent des ailes, hurlent en glapissant,
Harpyiae, et magnis quatiunt clangoribus alas,
pillent nos viandes et salissent tout à leur contact
diripiuntque dapes, contactuque omnia foedant
immonde, puis leur voix infernale dans une puanteur sinistre.
immundo ; tum uox taetrum dira inter odorem.
Une deuxième fois dans une baie en longueur sous la paroi creusée
Rursum in secessu longo sub rupe cauata,
230 [arboribus clausi circum atque horrentibus umbris] [1]
nous dressons les tables et replaçons les feux sur les autels.
instruimus mensas arisque reponimus ignem :
une deuxième fois venant d’un autre côté du ciel et de repaires obscurs,
rursum ex diuerso caeli caecisque latebris
la horde bruyante tourne autour de nos prises avec ses pattes crochues,
turba sonans praedam pedibus circumuolat uncis,
souille nos viandes de ses bouches. Je dis alors à mes compagnons
polluit ore dapes. Sociis tunc, arma capessant,
[235] de prendre leurs armes et qu’il faut faire la guerre à cette engeance sinistre.
235 edico, et dira bellum cum gente gerendum.
Aussitôt dit, aussitôt fait, et ils cachent dans l’herbe
Haud secus ac iussi faciunt, tectosque per herbam
les épées, dissimulent leurs boucliers à portée de main.
disponunt enses et scuta latentia condunt.
Ainsi, dès que se fait entendre le bruit de leur descente sur le rivage
Ergo ubi delapsae sonitum per curua dedere
courbe, Misène donne le signal depuis un poste d’observation en hauteur
litora, dat signum specula Misenus ab alta
[240] avec une trompe d’airain. Mes amis attaquent et tentent, dans un combat extraordinaire,
240 aere cauo. Inuadunt socii, et noua proelia temptant,
de blesser par le fer les hideux oiseaux de mer,
obscenas pelagi ferro foedare uolucres :
mais leurs plumes évincent les coups, leur dos est invulnérable,
sed neque uim plumis ullam nec uolnera tergo
et elles prennent la fuite, remontent vers les astres dans un vif glissement,
accipiunt, celerique fuga sub sidera lapsae
laissant derrière elles nos prises à demi mangées et leurs traces ignobles.
semesam praedam et uestigia foeda relinquunt.
[245] Une s’est posée sur un rocher surélevé, Céléno,
245 Una in praecelsa consedit rupe Celaeno,
prophétesse de mauvais augure, et elle fait jaillir sa voix de sa poitrine :
infelix uates, rumpitque hanc pectore uocem :
« La guerre ? en plus de massacrer nos bœufs, d’abattre nos taureaux,
’Bellum etiam pro caede boum stratisque iuuencis,
fils de Laomédon, vous êtes prêts à engager la guerre
Laomedontiadae, bellumne inferre paratis,
et chasser les Harpyes du royaume de leur père alors elles n’ont rien fait ?
et patrio Harpyias insontis pellere regno ?
[250] Eh bien, écoutez avec attention et gravez dans votre cœur ce que je vais dire,
250 Accipite ergo animis atque haec mea figite dicta,
que le Père tout-puissant a prédit à Phébus, puis à moi Phébus Apollon,
quae Phoebo pater omnipotens, mihi Phoebus Apollo
et qu’à vous, moi, l’aînée des Furies, je découvre :
praedixit, uobis Furiarum ego maxuma pando.
Votre but est l’Italie et vous demandez aux vents de vous y conduire ?
Italiam cursu petitis, uentisque uocatis
Vous irez en Italie, vous pourrez entrer au port,
ibitis Italiam, portusque intrare licebit ;
[255] mais vous ne ceindrez pas la ville promise de ses remparts
255 sed non ante datam cingetis moenibus urbem,
que votre appétit funeste et votre injuste massacre ne vous aient d’abord
quam uos dira fames nostraeque iniuria caedis
contraints à manger vos tables, à les broyer de vos mâchoires. »
ambesas subigat malis absumere mensas.’
Elle finit de parler et s’enfuit d’un coup d’aile à l’intérieur de la forêt.
Dixit, et in siluam pennis ablata refugit.
[1] Probablement extrapolé, voir Virgile, Énéide I v. 297-313 | La voie s’ouvre vers Carthage v. 311, ce vers n’est pas traduit.
Messages
1. Virgile, Énéide III v. 209-258 | Les Harpyes, 17 octobre 2013, 16:01, par Isabelle Pariente-Butterlin
Quel rythme ! ta traduction fait des miracles, rend les saccades de la phrase latine ! C’est impressionnant comme tu parviens à les faire se correspondre. On entend la même terreur dans l’une et l’autre langue, et les battements du cœur précipités !
1. Virgile, Énéide III v. 209-258 | Les Harpyes, 17 octobre 2013, 17:44, par Danielle Carlès
Je suis toujours tellement touchée par tes commentaires. Disons que je travaille tout ça en bonne ouvrière. Je me réjouis de faire peur en tout cas !