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Virgile, Énéide III v. 433-462 | La prophétie d’Hélénus : la Sibylle
mercredi 6 novembre 2013, par
De plus, s’il est vrai qu’Hélénus a de la clairvoyance et prophète
mérite d’être cru, si Apollon remplit son âme de la vérité,
[435] il y a une chose, fils d’une déesse, une seule qui les vaut toutes,
que je vais te dire et te redire, et encore et encore te recommander :
implore avant tout dans tes prières la puissance de la grande Junon,
à Junon de bonne grâce adresse des vœux, sur cette reine puissante
prends le dessus à force d’offrandes suppliantes, ainsi finalement vainqueur,
[440] la Trinacrie derrière toi, tu seras libre de partir pour le pays d’Italie.
Dès que, porté dans la direction, tu auras approché la ville de Cumes,
les lacs divins et l’Averne renvoyant le bruit de la forêt,
tu verras une inspirée, une folle, dans une grotte au pied du rocher
qui dit le destin et en confie les traces et les noms à des feuilles d’arbre.
[445] Toutes les formules inscrites sur les feuilles, la vierge
les dispose en bon ordre, puis les abandonne enfermées dans sa grotte.
Elles restent là, immuables à leur place, sans se désordonner,
mais, quand pivotent les gonds et que le moindre courant d’air
les bouscule, quand l’ouverture de la porte mélange le mince feuillage,
[450] jamais plus elle ne les rattrape, voltigeant ça et là dans la caverne de pierre,
ni ne les ramène à leur place, ni ne relie les formules, elle ne s’en soucie pas.
On repart sans réponse et on maudit l’antre de la Sibylle.
Ne juge pas que c’est trop de temps perdu
— quand bien même tes compagnons protestent et qu’avec force la route appelle
[455] tes voiles vers le large et que tu pourrais en remplir le creux propice —
d’aller voir la prophétesse [1] et de réclamer avec des prières qu’elle-même
prononce l’oracle, qu’elle libère, de sa propre volonté, sa voix et ses lèvres.
C’est elle qui te dira les peuples de l’Italie et les guerres à venir,
toutes tes épreuves et comment tu pourras y échapper ou les supporter,
[460] et pour le respect que tu lui auras témoigné elle t’offrira une route propice.
Voilà ce qu’il nous est permis de t’annoncer par notre voix.
Allons, va, et par tes exploits porte jusqu’au ciel éthéré la grandeur de Troie. »
Lecture avec le texte latin
De plus, s’il est vrai qu’Hélénus a de la clairvoyance et, prophète,
’Praeterea, si qua est Heleno prudentia, uati
mérite d’être cru, si Apollon remplit son âme de la vérité,
si qua fides, animum si ueris implet Apollo,
[435] il y a une chose, fils d’une déesse, une seule qui les vaut toutes,
435 unum illud tibi, nate dea, proque omnibus unum
que je vais te dire et te redire, et encore et encore te recommander :
praedicam, et repetens iterumque iterumque monebo :
implore avant tout dans tes prières la puissance de la grande Junon,
Iunonis magnae primum prece numen adora ;
à Junon de bonne grâce adresse des vœux, sur cette reine puissante
Iunoni cane uota libens, dominamque potentem
prends le dessus à force d’offrandes suppliantes, ainsi finalement vainqueur,
supplicibus supera donis : sic denique uictor
[440] la Trinacrie derrière toi, tu seras libre de partir pour le pays d’Italie.
440 Trinacria finis Italos mittere relicta.
Dès que, porté dans la direction, tu auras approché la ville de Cumes,
’Huc ubi delatus Cumaeam accesseris urbem,
les lacs divins et l’Averne renvoyant le bruit de la forêt,
diuinosque lacus, et Auerna sonantia siluis,
tu verras une inspirée, une folle, dans une grotte au pied du rocher
insanam uatem aspicies, quae rupe sub ima
qui dit le destin et en confie les traces et les noms à des feuilles d’arbre.
fata canit, foliisque notas et nomina mandat.
[445] Toutes les formules inscrites sur les feuilles, la vierge
445 Quaecumque in foliis descripsit carmina uirgo,
les dispose en bon ordre, puis les abandonne enfermées dans sa grotte.
digerit in numerum, atque antro seclusa relinquit.
Elles restent là, immuables à leur place, sans se désordonner,
Illa manent immota locis, neque ab ordine cedunt ;
mais, quand pivotent les gonds et que le moindre courant d’air
uerum eadem, uerso tenuis cum cardine uentus
les bouscule, quand l’ouverture de la porte mélange le mince feuillage,
impulit et teneras turbauit ianua frondes,
[450] jamais plus elle ne les rattrape, voltigeant ça et là dans la caverne de pierre,
450 numquam deinde cauo uolitantia prendere saxo,
ni ne les ramène à leur place, ni ne relie les formules, elle ne s’en soucie pas.
nec reuocare situs aut iungere carmina curat :
On repart sans réponse et on maudit l’antre de la Sibylle.
inconsulti abeunt, sedemque odere Sibyllae.
Ne juge pas que c’est trop de temps perdu
Hic tibi ne qua morae fuerint dispendia tanti,---
— quand bien même tes compagnons protestent et qu’avec force la route appelle
quamuis increpitent socii, et ui cursus in altum
[455] tes voiles vers le large et que tu pourrais en remplir le creux propice —
455 uela uocet, possisque sinus implere secundos,---
d’aller voir la prophétesse et de réclamer avec des prières qu’elle-même
quin adeas uatem precibusque oracula poscas
prononce l’oracle, qu’elle libère, de sa propre volonté, sa voix et ses lèvres.
ipsa canat, uocemque uolens atque ora resoluat.
C’est elle qui te dira les peuples de l’Italie et les guerres à venir,
Illa tibi Italiae populos uenturaque bella,
toutes tes épreuves et comment tu pourras y échapper ou les supporter,
et quo quemque modo fugiasque ferasque laborem
[460] et pour le respect que tu lui auras témoigné elle t’offrira une route propice.
460 expediet, cursusque dabit uenerata secundos.
Voilà ce qu’il nous est permis de t’annoncer par notre voix.
Haec sunt, quae nostra liceat te uoce moneri.
Allons, va, et par tes exploits porte jusqu’au ciel éthéré la grandeur de Troie.
Vade age, et ingentem factis fer ad aethera Troiam.’
[1] On a ici le même mot vates traduit plus haut par « inspirée » et qui ailleurs peut encore être traduit par « poète ». J’hésite sur le mot « prophétesse », peut-être oser « la prophète » ? En suspens.
Messages
1. Virgile, Énéide III v. 433-462 | La prophétie d’Hélénus : la Sibylle, 8 novembre 2013, 09:18, par cjeanney
je ne sais pas pourquoi ça résonne particulièrement pour moi cette phrase
"les dispose en bon ordre, puis les abandonne enfermées dans sa grotte"
je trouve ça fabuleux
(merci Danièle ! :-))
1. Virgile, Énéide III v. 433-462 | La prophétie d’Hélénus : la Sibylle, 9 novembre 2013, 10:22, par Danielle Carlès
Je me fais souvent la réflexion en te lisant, surtout les derniers textes Oblique, qu’on ne pourrait pas y supprimer un mot ou le déplacer. Ta pratique d’écriture, consciemment ou pas, doit avoir avec ça, de disposer les mots en bon ordre et de les abandonner. Je le ressens comme ça. Et merci à toi, Christine.
2. Virgile, Énéide III v. 433-462 | La prophétie d’Hélénus : la Sibylle, 8 novembre 2013, 11:16, par Isabelle Pariente-Butterlin
Quelle merveilleuse image que ces phrases inscrites dans les feuillages du monde …
1. Virgile, Énéide III v. 433-462 | La prophétie d’Hélénus : la Sibylle, 9 novembre 2013, 10:26, par Danielle Carlès
Ah oui, pour moi l’une des plus belles qu’on trouve chez Virgile (où elles ne sont pas rares) !