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Horace, Satires II 4 | Préceptes pour une vie heureuse
mercredi 29 février 2012, par
entrée en matière subtile
D’où vient notre Catius, et où va-t-il ? (1)
Je n’ai pas le temps. Tel que tu me vois je suis absorbé par le désir de mémoriser des préceptes tout nouveaux et qui enfoncent Pythagore, l’accusé d’Anytus et Platon, avec toute sa science. (1-3)
Je reconnais que c’est une erreur de t’interrompre ainsi à un mauvais moment. Mais, s’il te plaît, tu auras la bonté de me pardonner. D’ailleurs si à l’instant quelque chose t’a échappé, tu ne vas pas tarder à le retrouver. Don naturel ou maîtrise technique, tu es un prodige dans les deux cas. (4-7)
Ah oui, mais je m’inquiétais de la bonne manière de retenir tout le détail, s’agissant de choses subtiles précisément exposée dans une subtile langue. (8-9)
Dévoile le nom de cet homme, et fais-nous connaître en même temps s’il s’agit d’un Romain ou d’un étranger. (10)
Ce sont les préceptes eux-même que je vais te réciter par cœur, mais l’auteur restera secret. (11)
Les œufs de forme allongée, ne l’oublie jamais, sont les œufs à mettre sur les tables, comme supérieurs en goût et avec un blanc plus blanc que les ronds. Et en plus ils renferment sous leur coquille calleuse un jaune de sexe mâle. (12-14)
chou des villes et chou des champs
Plus que le chou cultivé en ville est savoureux celui qui a poussé dans les champs sans excès d’arrosage : rien de plus délavé que les produits d’un jardin trop irrigué. (15-16)
Si tu t’es laissé surprendre, le soir, par un hôte imprévu, pour éviter qu’une poule un peu dure ne résiste désagréablement au palais, tu apprendras à la plonger plusieurs fois toute vivante dans du Falerne coupé d’eau, cela l’attendrira. (17-20)
Les champignons des prés ont un excellent naturel : il est difficile de faire confiance aux autres. (20-21)
Il passera les chaleurs de l’été en bonne santé, celui qui finira son déjeuner avec des mûres noires, pourvu qu’il les ait cueillies sur la haie avant que le soleil ne tape. (21-23)
Aufidius mélangeait le miel à du Falerne, mais du Falerne fort. Erreur ! car aux veines encore vides, il ne faut que du doux. Tu feras mieux en abreuvant ton cœur de vin doux miellé [1]. (24-27)
coques et palourdes
Si l’intestin est paresseux, des moules et des coquillages ordinaires expulseront l’obstacle, avec de la petite feuille d’oseille, et sans oublier le blanc de Cos. (27-29)
Les lunes naissantes remplissent les coquillages lubrifiants, mais toutes les mers ne produisent pas en abondance des coques nobles. Il vaut mieux les palourdes du lac Lucrin que le murex de Baïes, les bonnes huîtres viennent de Circé, les oursins de Misène, la douce Tarente tire orgueil de ses larges peignes. (30-34)
la science universelle des saveurs
Que personne ne se dise à la légère maître dans l’art culinaire, s’il n’a pas d’abord parcouru jusqu’au bout la subtile théorie des saveurs. (35-36)
Il ne suffit pas de dévaliser l’étal hors de prix du poissonnier, si l’on ignore lesquels il vaut mieux mettre en sauce et lesquels il convient de rôtir pour que le convive déjà en train de s’assoupir se remette sur le coude. (37-39)
Le sanglier de l’Ombrie nourri des glands du chêne fait ployer sous son poids les grands plateaux ronds. C’est le choix de qui veut éviter une chair pleine de mollesse. Celui des Laurentes, par exemple, engraissé à l’herbe et aux roseaux des marais, ne vaut rien. (40-42)
Les régions de vignoble voient naître un genre de chèvres pas toujours bonnes à manger. (43)
Du lièvre prolifique une fine bouche recherchera spécialement les épaules. (44)
La question de la nature et de la vie des poissons et des oiseaux n’avait jamais été claire pour personne avant qu’elle ne s’impose à mon propre palais. (45-46)
Certains mettent tout leur talent à inventer de nouvelles friandises. Il n’est pas du tout suffisant de concentrer ses efforts sur une seule chose, comme, par exemple, de ne s’inquiéter que des défauts du vin, sans se soucier de la qualité de l’huile dont on arrosera le poisson. (47-50)
vins d’appellation
Si tu exposes les vins du Massique à l’air libre par temps clair, pour peu qu’ils soient trop épais, le souffle de la nuit les affinera et dissipera leur odeur entêtante. Mais les passer au tamis de lin les abîme et leur fait perdre tout leur goût. (51-54)
Celui qui mélange aux vins de Sorrente un fond de Falerne est un vrai connaisseur. Il ramasse la lie en utilisant judicieusement de l’œuf de pigeon, car le jaune se colle aux éléments étrangers et les précipite. (55-57)
Tu revigoreras un buveur alourdi avec des crabes grillés et des escargots d’Afrique, car la laitue après le vin surnage dans l’estomac échauffé. Lui, tout excité, réclame avec insistance de se refaire avec toujours plus de jambon et de saucisses, il préfèrerait même qu’on lui amène de tous ces plats qu’on mitonne dans les auberges les plus crasseuses. (58-62)
recette élaborée
Il vaut la peine d’approfondir la nature de la sauce double. La simple se compose d’huile d’olive douce, à laquelle il conviendra de mélanger du vin pur épais et de la saumure, mais pas une autre que celle qui a développé sa puanteur dans une jarre du type "orque de Byzance" [2]. Cette base est additionnée d’herbes hachées bien mélangées. Lorsque le tout a bouilli et reposé, non sans l’avoir parsemé de safran de Corycus, tu rajouteras encore par dessus une rasade du jus rendu sous le pressoir par le fruit de l’olivier de Vénafre. (63-69)
la source d’une vie heureuse
Les fruits de Tibur le cèdent à ceux du Picénum, pour le goût, car pour l’apparence, ils sont supérieurs. Le raisin dit "Venoncle" va bien pour une mise en pot, mais l’Albain sera mieux pour le séchage à la fumée. (70-72)
À propos de ce raisin, je suis reconnu comme celui qui a eu l’idée de le présenter à chacun sur la table avec des pommes dans de simples petites assiettes personnelles, le premier à présenter de même le faex [3] et l’allec, le premier aussi pour le poivre blanc avec du sel noir broyé [4]. (73-75)
C’est une faute sans nom de dépenser au marché jusqu’à trois mille sesterces à chaque fois et de serrer à l’étroit dans un mesquin petit plat les ondoyants poissons. (76-77)
Un grand dégoût soulève l’estomac à la vue d’un garçon manipulant une coupe à boire avec ses mains graisseuses de la sauce qu’il vient de lécher en cachette ou si une épaisse couche de crasse est collée aux parois d’un antique cratère. (78-80)
Un balai ordinaire, des serviettes, de la sciure est-ce une grande dépense ? La honte d’une négligence sur ce point est immense. Nettoyer tes mosaïques avec un balai de palme chargé de boue ! Jeter sur des housses jamais lavées des étoffes de pourpre tyriennes ! oubliant que plus mince est ici la dépense et le soin à consacrer, plus légitime est la critique, plus qu’en ces choses accessibles uniquement aux tables des riches. (81-87)
Savant Catius, je t’en prie, au nom de notre amitié et au nom des dieux, souviens-toi à l’avenir de m’emmener l’écouter, si loin qu’il faille aller. Car aussi fidèle que soit ta mémoire pour me rendre tout son enseignement, tu n’es qu’un intermédiaire et le plaisir n’est pas le même. Ajoute aussi l’air et l’attitude de l’homme, le grand bonheur que c’est de l’avoir vu. Tu en fais peu de cas, parce que toi tu l’as eu. Mais moi, c’est peu de dire combien j’ai à cœur de pouvoir m’approcher de cette source retirée et d’y puiser les préceptes qui font la vie heureuse. (88-95)
Voir en ligne : Un peu de ma cuisine avec les mots du maître
[1] Il était servi au début du repas, en apéritif.
[2] Il s’agit ici d’une grosse jarre, analogue à un dolium. La saumure (muria) est ici le jus mêlé de sel et de graisse de poisson résultant de la macération du thon mis au sel. Un délice pour les connaisseurs (comparable au nuoc-mam vietnamien ou au pissala(t) des niçois, ce dernier à base d’anchois). Voir également le garum antique.
[3] Le mot fæx signifie proprement "lie" et particulièrement "lie du vin" ou "tartre".
[4] Pline (H. N. XXXI, 83) nous apprend que le sel "noir" résulte d’une technique pratiquée dans une partie de l’Espagne en versant une eau salée tirée de certains puits sur du bois : "quicumque ligno confit sal niger est."