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Virgile, Énéide I v. 223-296
nouvelle version remuée
jeudi 13 mars 2014, par
Et déjà tout était fini, quand Jupiterau plus haut de l’éther
baissant le regard vers l’envol des voilesde la mer, les terres gisantes,
vers les rivages et les vastes régions peuplées,comme ça, au sommet du ciel,225
s’arrêta et fixa les yeuxsur le royaume de Libye.
Et tandis que de tout son cœur il sacrifieà sa sollicitude,
triste comme jamais, les yeux brillants,et inondée de larmes,
Vénus vient lui parler : « Ô toi qui sur le mondeet des hommes et des dieux
possède un éternel empire,et dont la foudre inspire la terreur,230
qu’a bien pu mon cher Énée contre toicommettre de si grave ?
qu’ont bien pu les Troyens, qui, après tant de deuils,
sur le chemin de l’Italie,voient se fermer pour eux la terre entière ?
Tu l’as bien dit, qu’un jour d’eux les Romains,au fil des années déroulées,
d’eux des maîtres viendraient,par résurgence du sang de Teucer,235
et qu’ils auraient toute la mer, toutes les terresen leur pouvoir,
tu l’as promis ! Quelle est la raison, père,de ton revirement ?
Moi en tout cas, de la chute de Troie,de sa funeste ruine,
cela me consolait, je mettais au destinmalheureux ce destin en contrepoids.
Mais en réalité, le sort, toujours le même,d’innombrables périls harcèle les héros,240
et ne les lâche pas. Quand donnes-tu la fin,grand roi, de leurs épreuves ?
Anténor a bien pu, après s’être échappédes mains des Achéens,
gagner le fond des golfes Illyriens,puis l’intérieur, en toute sûreté,
du royaume Liburne et dépasserla source du Timave,
d’où par neuf bouches, avec un grondement immensede la montagne,245
il s’élance dans la mer en gerbes d’écumeet inonde les champs sous le fracas des eaux.
C’est là pourtant qu’il a fixéla ville de Padoue, la résidence
des Troyens. Il a donné son nom à un peupleet raccroché les armes
de Troie. Maintenant paisible, bien installé,avec la paix il se repose.
Nous, tes propres enfants, à qui tu donnes placedans la citadelle du ciel,250
nos navires, honte ! sont perdus,par la colère d’une seule,
nous sommes trahis et isolés, éloignésd’Italie et de ses rivages.
Est-ce l’honneur qu’on doit à la piété ?Est-ce ainsi que tu nous rétablis dans nos droits ? »
Lui souriant, le Semeur des hommes et des dieux,
avec le visage qui rassérènele ciel et la tempête,255
d’un baiser effleura les lèvres de sa fille.Ensuite il parle ainsi :
« N’aies crainte, Cythérée : il est acquis, immuable,pour tous les tiens,
ce destin, pour toi. Tu verras la villepromise, Lavinium
avec ses remparts, puis, l’arrachant à la terre,tu emporteras vers les étoiles du ciel
Énée au grand cœur. Non, pas de raisons, pour moi,pas de revirement.260
Car maintenant je vais te dire,puisque l’inquiétude de ça te ronge.
Je vais aller plus loin et, déroulantles arcanes du destin, te les révéler.
Il fera une immense guerre en Italie.Sur des peuples sauvages
il vaincra, des règles et des rempartsaux hommes imposera,
jusqu’au troisième été qui l’aura vu régnersur le Latium,265
quand trois hivers auront passépour les Rutules assujettis.
Mais l’enfant Ascagne, à qui aujourd’huile nom Iule
est aussi donné (il était Ilustant qu’Ilion fut forte de son royaume)
trente grands orbes, dans le roulement des mois,
de son règne emplira. Le siège du pouvoirà distance de Lavinium270
il déplacera, et de fortificationspuissantes munira Albe la Longue.
C’est là désormais que trois cents années complètesle royaume sera
aux mains des descendants d’Hectorjusqu’à la fille de roi, la prêtresse,
grosse de Mars, Ilia,qui donnera naissance à des enfants jumeaux.
De ce jour, par la louvenourrice au pelage fauve, allaité, 275
Romulus continuera ta famille.D’une ville vouée à Mars il fondera
les remparts et nommera les Romainsd’après son propre nom.
Pour eux quant à moi nulle borne,ni de fortune, ni de durée, je ne pose.
Je leur ai destiné un empire sans fin.Et mieux, l’âpre Junon,
qui aujourd’hui par peur remuela mer et la terre et le ciel,280
reviendra à un meilleur sentimentet à mes côtés chérira
les Romains, conquérants et citoyenshabillés de la toge.
Ainsi en est-il décidé.Il viendra, les lustres passant, l’époque
où la maison d’Assaracus réduira Phthieet l’illustre Mycènes
en servitude et, les ayant vaincus,soumettra les Argiens.285
Naîtra, Troyen de noble origine, César,
qui étendra l’empire jusqu’à l’océan,sa gloire jusqu’aux astres,
Jules, du nom de son ancêtre Iule.
Lui aussi, toi-même un jour dans le ciel,chargé des trophées de l’Orient,
tu l’accueilleras, enfin rassurée.On l’invoquera, lui aussi, dans les prières.290
Alors, l’âpreté des temps deviendra douceur,avec la fin des guerres.
La vénérable Fidès et Vesta,joint à son frère Rémus, Quirinus
dicteront les lois. Sinistres, par le fer etle bois étroitement barrées,
on fermera les portes de la Guerre.Le Meurtre impie à l’intérieur
assis sur un tas d’armes sanguinaires,et enchaîné de cent chaînes d’airain295
dans le dos, grondera, hirsuteet grimaçant de cruauté.