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Le latin

lundi 11 juin 2012, par Danielle Carlès

Le latin, chose belle à posséder, héritage reçu et non transmis, vanité de propriétaire.

Le latin n’a d’autre lieu de vie que l’université.

La légende s’est installée d’une mort naturelle, une irrésistible tendance, un dépérissement. On cherche les causes, on écrase des larmes, on écrit des éloges. Il y aurait de l’indécence à supprimer ce grand malade, mais le sentiment d’impuissance est pénible, beaucoup de compassion, tête baissée.

La question du latin n’est pas la question du latin, c’est celle de notre université et de notre système scolaire, c’est une question profondément politique, grave et urgente.

Le latin ne tient pas son caractère exemplaire d’une quelconque utilité ou beauté ou que sais-je (inutile d’argumenter), il le tient d’être une matière purement scolaire, une pure matière d’enseignement.

C’est une question de temps, de fierté et de sérieux.

Le latin, c’est l’histoire de notre université, la langue savante du monde "moderne". S’irriter des emblèmes ou au contraire les invoquer ("Humanités"), besoin superstitieux (ne restent que les signes et le diable, mais la confiance est perdue).

Le latin, victime expiatoire d’un système en déroute.

Nous vivons sur les stocks du grand bazar de l’antiquité. Mais nul doute que la faim, la soif, le désir ardent ne poussent à retrouver la mémoire des greniers et des sources, une mémoire vive et engagée, libre de toute nostalgie.

Messages

  • Ce latin, pour moi indissolublement lié aux versions faites en classe, avec le Gaffiot sous la main et ses aides clandestines (quand on trouvait tout un passage de Cicéron traduit à titre d’exemple pour un mot...), demeure un exercice admirable, comme un jeu d’échecs avec l’Histoire en plus.

    Le supprimer de l’enseignement serait nous couper des racines de notre culture sans en voir les conséquences : appauvrissement de notre langue et de sa compréhension même (rôle de l’étymologie), assèchement du recours à l’Antiquité, à ses mythes, à ses arts, croix faite sur un continent dont on trouve toujours les traces géographiques (le pont du Gard, les ruines de Vaison-la-Romaine, etc.) en France et ailleurs.

    Traduire, comme vous le faites, les auteurs latins est donc aussi un acte de résistance face au rouleau compresseur de l’uniformisation de la pensée, qui ne viserait plus que la rentabilité et non le désintéressement apparent ou la légèreté des aventures "homériques" ou "virgiliennes".

    "Alea"... pas forcément "jacta est" !

    • Merci, Dominique, de faire vivre ce lieu par votre présence. J’aimerais pouvoir parler - et penser - moi aussi au conditionnel, en ce qui concerne l’enseignement des langues anciennes, et au-delà de tout ce qui n’est pas immédiatement subordonné à "l’employabilité" des étudiants, mais mon expérience récente m’oblige à utiliser le présent : oui, nous sommes dans la résistance à un processus qui s’accomplit et non dans la menace d’un avenir incertain. Les étiquettes dont on parsème discours et programmes sont vides, je ne sais même plus qui elles peuvent encore leurrer. Je ne vais pas faire ici un panorama du désastre, mais il est réel. L’obsession de trouver un lieu où faire vivre mon savoir et le partager m’a conduite, tout naturellement je crois, au web et à cette entreprise de traduction. Je suis heureuse et fière de vous compter comme lecteur.

  • Peut-être le latin n’est-il pas seulement affaire scolaire et universitaire. N’y a-t-il pas un poème en latin dans les "Fleurs du Mal" ? C’est d’ailleurs aussi une langue liturgique. Une langue de la distance, bienfaisante pour cette raison ?
    Avez-vous déjà pensé à écrire vous-même en latin ?

    Merci pour votre travail très intéressant, et vos témoignages sincères.

    • Vous pouvez trouver dans les "haicua latina" quelques essais latins de moi.
      J’ai surtout l’expérience du latin dans le monde scolaire et universitaire. Et les "Fleurs du mal" ou les prix de latin obtenus par Rimbaud et Hugo, c’est loin de nous déjà.
      Ce moment du temps est pour nous révolu. Et le partage de ce qui nous reste de savoir n’est pas à l’ordre du jour. La chance d’oublier c’est de retrouver (peut-être) autrement. Ce qui aura été perdu sera (peut-être) balancé par une autre façon de voir. Comme aujourd’hui, par exemple, nous lisons dans les peintures rupestres certainement autre chose que si la mémoire nous avait été conservée, mais notre manque de science laisse place à de belles et bonnes intuitions.
      En oubliant les lettres "classiques", nous avons peut-être une chance de retrouver le plus ancien encore que recèlent les lettres latines.

  • Je ne suis pas aussi sûr que vous de la distance supposée si grande qui nous séparerait des "Fleurs du Mal" (je ne parlais pas, bien sûr, des textes scolaires). "Franciscae meae laudes" me semble un essai très intéressant, y compris pour aujourd’hui, dans sa signification antimoderne, si je puis dire. Et le prénom désigne la France, entre autres choses.
    Par ailleurs, je suis entièrement d’accord avec vous : désapprendre peut être fertile ; cela n’empêche toutefois nullement de transmettre ce que l’on peut, notamment de ceux qui, comme Baudelaire, n’étaient plus eux-mêmes si dupes de la tradition et de l’Ecole (tout en ayant l’élégance de rendre hommage aux "poëtes impeccables").
    Merci de l’information sur vos propres textes latins, et merci encore de votre générosité.

    • À vrai dire la distance à laquelle je pensais n’est pas tant celle qui nous sépare des "Fleurs du mal" (bien au contraire, je suis d’accord avec vous) que celle qui nous sépare d’un temps où ce genre d’expérience était encore possible, exactement dans les termes où vous la rappelez (soit dit sans amertume).

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