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Virgile, Énéide IV v. 90-128 | Tractations

mercredi 19 février 2014, par Danielle Carlès

[90] Ce mal dont elle est prise, dès que le comprit

l’épouse chérie de Jupiter, et que la honte n’opposait aucun frein à la fureur,

elle va voir Vénus, la Saturnienne, et l’attaque en ces termes :

« Glorieux mérite vraiment, dépouilles magnifiques que vous remportez,

toi et ton enfant, grande et mémorable renommée,

[95] une seule femme vaincue par la ruse de deux dieux !

Non, je ne suis pas dupe à ce point, tu redoutais nos forteresses,

tu tenais en soupçon les palais de la haute Carthage.

Mais y aura-t-il une limite ? Où nous entraînera maintenant cet combat démesuré ?

Pourquoi ne pas conclure plutôt une paix éternelle et sceller un mariage

[100] en y travaillant ensemble ? Tu as parfaitement atteint le but que tu visais :

Didon est embrasée d’amour, elle a propagé la fureur dans tous ses os.

Partageons-nous donc ce peuple, et gouvernons-le à égalité

d’auspices. Elle, qu’il lui soit permis de servir un mari phrygien

et que les Tyriens soient la dot remise en ta main ! »

[105] En réponse, car elle a bien compris que ces paroles sont pleines de fausseté,

que le but est de d’éloigner le royaume d’Italie qui menacerait les rivages libyens,

voici ce que réplique Vénus : « Une telle offre, qui aurait la folie

de la refuser ? Qui préfèrerait se mesurer à toi dans la guerre ?

Juste à la condition, dans ce que tu dis, que la fortune suive les actes.

[110] Mais sans certitude je vais dans la direction du destin, si Jupiter

veut que les Tyriens et ceux qui sont partis de Troie n’aient qu’une seule ville,

s’il approuve que les peuples soient mêlés, les pactes conclus.

Tu es son épouse, c’est à toi qu’il te revient de sonder ses intentions par des prières.

Fais-le. Je suivrai. » Alors, reprenant la parole, la reine Junon dit :

[115] « Je n’y manquerai pas. Mais tout de suite voici le moyen qui permettra

d’aller au plus urgent, en peu de mots, sois attentive, je vais t’expliquer.

Pour une partie de chasse, Énée en compagnie de la malheureuse Didon

se prépare à aller dans les bois demain au point du jour,

dès que Titan se lèvera et de ses rayons découvrira la terre.

[120] Mais moi je leur mélangerai de grêle un nuage noir,

tandis que courent les cavaliers, qu’ils forment un cordon autour des pacages,

et je le déverserai sur eux, j’ébranlerai le ciel entier d’un coup de tonnerre.

L’escorte se dispersera, recouverte d’une nuit épaisse.

Didon et le chef troyen dans une même grotte

[125] se rabattront. J’y serai, et si tu m’assures de ton consentement,

je les nouerai d’une union indéfectible, je la ferai sienne,

c’est là que l’hymen aura lieu. » Sans lui opposer d’objection

d’un signe Cythérée acquiesçe, riant des ruses imaginées.


Lecture avec le texte latin

[90] Ce mal dont elle est prise, dès que le comprit

90 Quam simul ac tali persensit peste teneri

l’épouse chérie de Jupiter, et que la honte n’opposait aucun frein à la fureur,

cara Iouis coniunx, nec famam obstare furori,

elle va voir Vénus, la Saturnienne, et l’attaque en ces termes :

talibus adgreditur Venerem Saturnia dictis :

« Glorieux mérite vraiment, dépouilles magnifiques que vous remportez,

"Egregiam uero laudem et spolia ampla refertis

toi et ton enfant, grande et mémorable renommée,

tuque puerque tuus, magnum et memorabile nomen,

[95] une seule femme vaincue par la ruse de deux dieux !

95 una dolo diuom si femina uicta duorum est !

Non, je ne suis pas dupe à ce point, tu redoutais nos forteresses,

Nec me adeo fallit ueritam te moenia nostra

tu tenais en soupçon les palais de la haute Carthage.

suspectas habuisse domos Karthaginis altae.

Mais y aura-t-il une limite ? Où nous entraînera maintenant cet combat démesuré ?

Sed quis erit modus, aut quo nunc certamine tanto ?

Pourquoi ne pas conclure plutôt une paix éternelle et sceller un mariage

Quin potius pacem aeternam pactosque hymenaeos

[100] en y travaillant ensemble ? Tu as parfaitement atteint le but que tu visais :

100 exercemus ? Habes, tota quod mente petisti :

Didon est embrasée d’amour, elle a propagé la fureur dans tous ses os.

ardet amans Dido, traxitque per ossa furorem.

Partageons-nous donc ce peuple, et gouvernons-le à égalité

Communem hunc ergo populum paribusque regamus

d’auspices. Elle, qu’il lui soit permis de servir un mari phrygien

auspiciis ; liceat Phrygio seruire marito,

et que les Tyriens soient la dot remise en ta main ! »

dotalisque tuae Tyrios permittere dextrae."

[105] En réponse, car elle a bien compris que ces paroles sont pleines de fausseté,

105 Olli — sensit enim simulata mente locutam,

que le but est de d’éloigner le royaume d’Italie qui menacerait les rivages libyens,

quo regnum Italiae Libycas auerteret oras –

voici ce que réplique Vénus : « Une telle offre, qui aurait la folie

sic contra est ingressa Venus : "Quis talia demens

de la refuser ? Qui préfèrerait se mesurer à toi dans la guerre ?

abnuat, aut tecum malit contendere bello,

Juste à la condition, dans ce que tu dis, que la fortune suive les actes.

si modo, quod memoras, factum fortuna sequatur.

[110] Mais sans certitude je vais dans la direction du destin, si Jupiter

110 Sed fatis incerta feror, si Iuppiter unam

veut que les Tyriens et ceux qui sont partis de Troie n’aient qu’une seule ville,

esse uelit Tyriis urbem Troiaque profectis,

s’il approuve que les peuples soient mêlés, les pactes conclus.

misceriue probet populos, aut foedera iungi.

Tu es son épouse, c’est à toi qu’il te revient de sonder ses intentions par des prières.

Tu coniunx tibi fas animum temptare precando.

Fais-le. Je suivrai. » Alors, reprenant la parole, la reine Junon dit :

Perge ; sequar. » Tum sic excepit regia Iuno :

[115] « Je n’y manquerai pas. Mais tout de suite voici le moyen qui permettra

115 "Mecum erit iste labor : nunc qua ratione, quod instat

d’aller au plus urgent, en peu de mots, sois attentive, je vais t’expliquer.

confieri possit, paucis, aduerte, docebo.

Pour une partie de chasse, Énée en compagnie de la malheureuse Didon

Venatum Aeneas unaque miserrima Dido

se prépare à aller dans les bois demain au point du jour,

in nemus ire parant, ubi primos crastinus ortus

dès que Titan se lèvera et de ses rayons découvrira la terre.

extulerit Titan, radiisque retexerit orbem.

[120] Mais moi je leur mélangerai de grêle un nuage noir,

120 His ego nigrantem commixta grandine nimbum,

tandis que courent les cavaliers, qu’ils forment un cordon autour des pacages,

dum trepidant alae, saltusque indagine cingunt,

et je le déverserai sur eux, j’ébranlerai le ciel entier d’un coup de tonnerre.

desuper infundam, et tonitru caelum omne ciebo.

Leur escorte se dispersera, recouverte d’une nuit épaisse.

Diffugient comites et nocte tegentur opaca :

Didon et le chef troyen dans une même grotte

speluncam Dido dux et Troianus eandem

[125] se rabattront. J’y serai, et si tu m’assures de ton consentement,

125 deuenient ; adero, et, tua si mihi certa uoluntas,

je les nouerai d’une union indéfectible, je la ferai sienne,

conubio iungam stabili propriamque dicabo,

c’est là que l’hymen aura lieu. » Sans lui opposer d’objection

hic hymenaeus erit." — Non aduersata petenti

d’un signe Cythérée acquiesçe, riant des ruses imaginées.

adnuit, atque dolis risit Cytherea repertis.

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