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Virgile, Énéide VI, 333-383 | La mort de Palinure

mercredi 5 octobre 2022, par Danielle Carlès

Il distingue ici, tristes et privés des honneurs de la mort,

Leucaspis et Oronte, le chef de la flotte lycienne,

partis de Troie avec lui sur les eaux par grand vent335

et que l’Auster fit sombrer, roulant sous l’eau le navire et les hommes.

Et voici qu’arrivait le pilote Palinure,

qui, il y a peu pendant la navigation de Libye, tandis qu’il observait les astres,

était tombé de la poupe et s’était perdu au milieu des eaux.

Quand il l’eut à grand peine reconnu, triste, dans l’ombre épaisse,340

Énée, le premier, s’adresse à lui : « Quel dieu, Palinure,

t’a arraché à nous et t’a noyé au milieu de la mer ?

Parle, dis-moi ! Car, alors que je ne l’avais jamais pris en défaut auparavant,

pour une fois dans son oracle Apollon m’a trompé,

lui qui prophétisait qu’en sécurité sur la mer au pays345

d’Ausonie tu parviendrais. Est-ce ainsi qu’il a tenu promesse ?

Mais lui : « Le trépied de Phébus ne t’a pas trompé,

chef, fils d’Anchise, et un dieu ne m’a pas noyé dans la mer.

Il se trouve que le gouvernail s’est arraché avec une force extraordinaire,

et moi, son gardien attitré, j’étais attaché et je réglais le cap.350

En tombant, je l’ai entraîné avec moi. J’en atteste les mers cruelles

je n’ai jamais eu une si grande peur pour moi-même

qu’à l’idée que ton navire, dépouillé de son équipement, son pilote à la mer,

ne se révèle impuissant face à la grande houle qui se levait.

Pendant trois nuits de tempête le Notus sur la mer infinie355

violemment m’a charrié dans l’eau. Avec peine au quatrième jour

j’ai distingué loin devant l’Italie, soulevé sur la crête d’une vague.

Petit à petit je nageais vers la terre. Déjà j’étais en sécurité,

si des sauvages, au moment où, alourdi par mes habits trempés,

je m’efforçais d’agripper du bout des doigts les aspérités saillantes de la côte,360

ne s’étaient jetés sur moi fer au poing, s’imaginant par ignorance faire un butin.

Maintenant les flots me possèdent et les vents me ballottent sur la grève.

Alors, au nom de la douce lumière du ciel et de l’air qu’on respire,

au nom de ton père, je t’en prie, au nom de l’espoir placé en Iule qui grandit,

arrache-moi, ô invincible, à ce malheur ! Jette sur moi de la terre,365

tu le peux, recherche le port de Vélia.

Ou bien, s’il existe un moyen, si ta créatrice divine t’en inspire un,

car je pense bien que ce n’est pas sans la volonté des dieux

que tu t’apprêtes à naviguer sur de tels fleuves et le marais du Styx,

tends la main à un malheureux et prends-moi avec toi pour traverser l’eau,370

afin du moins que dans la mort je repose en un lieu de paix. »

Il avait fini de parler, la prophétesse prit la parole :

« D’où te vient, ô Palinure, un désir si affreux ?

Toi qui es sans sépulture, tu verras les eaux du Styx et le fleuve sévère des

Euménides ? Tu aborderas la rive sans y être invité ? 375

Renonce à l’espoir de fléchir le destin des dieux par une prière,

mais écoute ce que je vais dire et souviens-t’en, pour consoler ton cruel malheur :

les gens du voisinage, de toutes les villes alentour,

poussés par des prodiges célestes, purifieront tes os,

ils t’érigeront un tumulus et à ce tumulus ils consacreront un culte solennel.380

L’endroit portera éternellement le nom de Palinure. »

Ces mots dissipèrent son inquiétude et très vite

de son cœur triste chassèrent la douleur. Il se réjouit du nom donné à cette terre.

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