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Virgile, Énéide II v. 624-670 | Chez Anchise

mardi 20 août 2013, par Danielle Carlès

Mais alors je crus voir Ilion tout entière s’effondrer dans le feu

[625] et basculer jusqu’au tréfonds la Troie Neptunienne,

comme un très vieux frêne sur les sommets d’une montagne,

entaillé par le fer sous les coups répétés des haches des paysans

acharnés sur lui, rivalisant d’effort pour l’abattre, qui menace

et chancelle, agité dans sa frondaison, ébranlé jusqu’à la cime,

[630] jusqu’au moment où les blessures insensiblement ayant pris le dessus,

il a jeté un dernier cri, arraché à la crête et l’entraînant avec lui dans sa chute.

Je descends et, parce qu’un dieu me guide, je réussis à passer entre le feu

et les ennemis. Les traits me cèdent la place et les flammes s’écartent de moi.

Or une fois parvenu sur le seuil de la maison paternelle,

[635] à notre antique demeure, mon père, que je voulais en priorité

emmener en haut d’une montagne et qu’en priorité je venais chercher,

refuse de prolonger sa vie au-delà de la chute de Troie

et d’endurer l’exil. « Vous, oh, vous, dont le sang n’a pas subi les atteintes de l’âge,

dit-il, dont les forces intactes possèdent toute leur vigueur,

[640] vous, prenez la fuite !

moi, si les habitants du ciel avaient voulu que je vive plus longtemps,

ils auraient préservé ma maison. C’est plus qu’il ne m’en faut

d’avoir vu une fois ma ville saccagée et d’avoir survécu à sa prise.

Pour ainsi dire, oh, gisant sur mon lit funèbre, faites-moi vos adieux et partez !

[645] Je saurai trouver la mort les armes à la main. L’ennemi sera compatissant,

il cherchera à avoir mes dépouilles. La perte est légère, de renoncer à un tombeau.

Il y a déjà longtemps que les dieux ne m’aiment plus et je prolonge d’inutiles années,

depuis le jour où le Père des dieux et Roi des hommes

m’a pris dans le souffle de la foudre et m’a touché de son feu. »

[650] Il ne faisait que répéter cela obstinément et restait inébranlable.

Nous, en larmes, nous luttions contre lui, avec mon épouse Créuse,

Ascagne et toute la maisonnée, pour que notre père ne veuille pas anéantir

en même temps que lui tous les autres et presser notre accablant destin.

Il refuse et s’accroche à sa décision, s’accroche à sa maison.

[655] De nouveau je m’en remets aux armes, si désespéré que je souhaite la mort,

que restait-il en effet, quelle décision possible, quelle chance offerte ?

« Que je puisse mettre un pied hors d’ici, père, en t’abandonnant,

l’as-tu vraiment cru ? Un pareil sacrilège a pu franchir la bouche d’un père ?

Si ceux d’en haut ont décidé de ne rien laisser de cette immense ville,

[660] que tu es résolu et qu’il te plaît d’ajouter à la disparition imminente de Troie

la tienne et celle des tiens, la porte est ouverte sur la mort que tu souhaites,

car Pyrrhus va être là, venant de verser tout le sang de Priam,

celui qui égorge le fils devant les yeux du père, le père au pied de l’autel.

C’était pour ça, mère bienveillante, qu’aux flèches, qu’aux flammes

[665] tu me soustrais ? pour qu’au sein de ma maison je voie l’ennemi,

et que je voie Ascagne, mon père et Creuse à côté d’eux

immolés dans le sang les uns des autres ?

Mes armes, hommes, apportez mes armes ! Le dernier jour des vaincus nous appelle !

Rendez-moi aux Danaens ! Laissez-moi y retourner, reprendre

[670] le combat ! Non, nous ne mourrons pas tous aujourd’hui sans vengeance ! »


Lecture avec le texte latin

Mais alors je crus voir Ilion tout entière s’effondrer dans le feu

Tum uero omne mihi uisum considere in ignis

et basculer jusqu’au tréfonds la Troie Neptunienne,

625 Ilium et ex imo uerti Neptunia Troia ;

comme un très vieux frêne sur les sommets d’une montagne,

ac ueluti summis antiquam in montibus ornum

entaillé par le fer sous les coups répétés des haches des paysans

cum ferro accisam crebrisque bipennibus instant

acharnés sur lui, rivalisant d’effort pour l’abattre, qui menace

eruere agricolae certatim, — illa usque minatur

et chancelle, agité dans sa frondaison, ébranlé jusqu’à la cime,

et tremefacta comam concusso uertice nutat,

jusqu’au moment où les blessures insensiblement ayant pris le dessus,

630 uolneribus donec paulatim euicta, supremum

il a jeté un dernier cri, arraché à la crête etl’entraînant avec lui dans sa chute.

congemuit, traxitque iugis auolsa ruinam.

Je descends et, parce qu’un dieu me guide, je réussis à passer entre le feu

Descendo, ac ducente deo flammam inter et hostis

et les ennemis. Les traits me cèdent la place et les flammes s’écartent de moi.

expedior ; dant tela locum, flammaeque recedunt.

Or une fois parvenu sur le seuil de la maison paternelle,

Atque ubi iam patriae peruentum ad limina sedis

à notre antique demeure, mon père, que je voulais en priorité

635 antiquasque domos, genitor, quem tollere in altos

emmener en haut d’une montagne et qu’en priorité je venais chercher,

optabam primum montis primumque petebam,

refuse de prolonger sa vie au-delà de la chute de Troie

abnegat excisa uitam producere Troia

et d’endurer l’exil. « Vous, oh, vous, dont le sang n’a pas subi les atteintes de l’âge,

exsiliumque pati. ’Vos O, quibus integer aeui

dit-il, dont les forces intactes possèdent toute leur vigueur,

sanguis,’ ait ’solidaeque suo stant robore uires,

vous, prenez la fuite !

640 uos agitate fugam :

moi, si les habitants du ciel avaient voulu que je vive plus longtemps,

me si caelicolae uoluissent ducere uitam,

ils auraient préservé ma maison. C’est plus qu’il ne m’en faut

has mihi seruassent sedes. Satis una superque

d’avoir vu une fois ma ville saccagée et d’avoir survécu à sa prise.

uidimus exscidia et captae superauimus urbi.

Pour ainsi dire, oh, gisant sur mon lit funèbre, faites-moi vos adieux et partez !

Sic O, sic positum adfati discedite corpus.

Je saurai trouver la mort les armes à la main. L’ennemi sera compatissant,

645 Ipse manu mortem inueniam ; miserebitur hostis

il cherchera à avoir mes dépouilles. La perte est légère, de renoncer à un tombeau.

exuuiasque petet ; facilis iactura sepulcri.

Il y a déjà longtemps que les dieux ne m’aiment plus et je prolonge d’inutiles années,

Iam pridem inuisus diuis et inutilis annos

depuis le jour où le Père des dieux et Roi des hommes

demoror, ex quo me diuom pater atque hominum rex

m’a pris dans le souffle de la foudre et m’a touché de son feu. »

fulminis adflauit uentis et contigit igni.’

Il ne faisait que répéter cela obstinément et restait inébranlable.

650 Talia perstabat memorans, fixusque manebat.

Nous, en larmes, nous luttions contre lui, avec mon épouse Créuse,

Nos contra effusi lacrimis, coniunxque Creusa

Ascagne et toute la maisonnée, pour que notre père ne veuille pas anéantir

Ascaniusque omnisque domus, ne uertere secum

avec lui tous les autres et presser notre accablant destin

cuncta pater fatoque urguenti incumbere uellet.

Il refuse et s’accroche à sa décision, s’accroche à sa maison.

Abnegat, inceptoque et sedibus haeret in isdem.

De nouveau je m’en remets aux armes, si désespéré que je souhaite la mort,

655 Rursus in arma feror, mortemque miserrimus opto :

que restait-il en effet, quelle décision possible, quelle chance offerte ?

nam quod consilium aut quae iam fortuna dabatur ?

« Que je puisse mettre un pied hors d’ici, père, en t’abandonnant,

’Mene efferre pedem, genitor, te posse relicto

l’as-tu vraiment cru ? Un pareil sacrilège a pu franchir la bouche d’un père ?

sperasti, tantumque nefas patrio excidit ore ?

Si ceux d’en haut ont décidé de ne rien laisser de cette immense ville,

Si nihil ex tanta Superis placet urbe relinqui,

que tu es résolu et qu’il te plaît d’ajouter à la disparition imminente de Troie

660 et sedet hoc animo, perituraeque addere Troiae

la tienne et celle des tiens, la porte est ouverte sur la mort que tu souhaites,

teque tuosque iuuat, patet isti ianua leto,

car Pyrrhus va être là, venant de verser tout le sang de Priam,

iamque aderit multo Priami de sanguine Pyrrhus,

celui qui égorge le fils devant les yeux du père, le père au pied de l’autel.

natum ante ora patris, patrem qui obtruncat ad aras

C’était pour ça, mère bienveillante, qu’aux flèches, qu’aux flammes

Hoc erat, alma parens, quod me per tela, per ignis

tu me soustrais ? pour qu’au sein de ma maison je voie l’ennemi,

665 eripis, ut mediis hostem in penetralibus, utque

et que je voie Ascagne, mon père et Creuse à côté d’eux

Ascanium patremque meum iuxtaque Creusam

immolés dans le sang les uns des autres ?

alterum in alterius mactatos sanguine cernam ?

Mes armes, hommes, apportez mes armes ! Le dernier jour des vaincus nous appelle !

Arma, uiri, ferte arma ; uocat lux ultima uictos.

Rendez-moi aux Danaens ! Laissez-moi y retourner, reprendre

Reddite me Danais ; sinite instaurata reuisam

le combat ! Non, nous ne mourrons pas tous aujourd’hui sans vengeance ! »

670 proelia : Numquam omnes hodie moriemur inulti.’

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