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Horace, Épodes 17/18 | Le poète et la sorcière

mercredi 21 novembre 2012, par Danielle Carlès

Oui, à présent je me rends à ta science puissante

et je te supplie, je t’implore, par le royaume de Proserpine,

par la majesté occulte de Diane,

et par les livres des incantations ayant pouvoir

5 de déclouer les astres du ciel et de les faire descendre,

Canidia, cesse à la fin tes malédictions

et annule en l’inversant, annule l’élan du rhombe.

Télèphe a fléchi le petit-fils de Nérée

contre qui avec orgueil il avait aligné les bataillons

10 des Mysiens et contre qui il avait tourné des traits acérés.

Les mères d’Ilion ont parfumé le cadavre d’Hector,

meurtrier promis aux oiseaux et aux chiens sauvages,

après que le roi eut quitté les remparts pour aller,

hélas, se jeter aux pieds d’Achille l’obstiné.

15 Couverts de soies, ils ont dépouillé leur couenne dure,

les rameurs du vaillant Ulysse,

par la volonté de Circé. Alors l’esprit et la voix

sont revenus et, sur les visages, la dignité qu’on leur connaissait.

J’ai été assez puni, et même au-delà, pour satisfaire ta vengeance,

20 femme tant aimée des matelots et des petits marchands.

Ma jeunesse est enfuie et mon teint rougissant

a laissé en me quittant un squelette habillé de peau blême,

tes parfums ont fait blanchir mes cheveux.

Aucun loisir ne me délasse de mon travail,

25 la nuit chasse le jour, le jour chasse la nuit et il n’est pas

de soulagement possible pour mon sein gonflé de soupirs.

Je le niais, mais je suis vaincu, forcé de croire, dans mon malheur,

que les incantations des Sabelliens vrillent le cœur,

que les nénies des Marses font éclater la tête.

30 Que veux-tu de plus ? ô mer, ô terre, je brûle,

comme jamais on n’a brûlé, ni Hercule imprégné du noir

sang de Nessus, ni la flamme sicilienne

vigoureuse dans la fournaise de l’Etna. Toi, jusqu’au moment où

m’emporteront, cendre desséchée, des vents funestes,

35 tu te réchauffes, officine des poisons de Colchide, à leur bouillon.

Quelle issue me reste-t-il ? Quel tribut à payer ?

Parle ! Je m’acquitterai fidèlement de ma peine selon tes ordres,

je suis prêt à expier, que tu me réclames

cent bœufs ou que tu veuilles entendre sonner

40 sur ma lyre menteuse : « Toi, femme chaste, femme vertueuse,

tu iras parmi les astres, étoile d’or. »

Castor, qui avait pris pour lui l’offense faite à Hélène, dénigrée,

et le frère du grand Castor furent vaincus par la prière

et ils rendirent au poète les yeux qu’ils lui avaient pris.

45 Toi aussi, oui, tu le peux, délivre-moi de ma folie,

ô toi qui n’es pas flétrie par la bassesse de ton père,

et tu n’es pas la vieille femme parmi les tombes des pauvres

qui s’y entend à disperser les cendres du neuvième jour,

tu as le cœur affable et les mains pures,

50 Pactuméius est le fils de ton ventre et ton

sang rougit les linges que lave la sage-femme

chaque fois que tu te relèves, courageuse, d’un accouchement.

Pourquoi cet épanchement de prières ? mes oreilles leur sont fermées.

Les rochers que Neptune dans la tempête bat des vagues du large

55 ne sont pas plus sourds aux marins abandonnés.

Sans châtiment tu te serais moqué des mystères de Cotytto

partout divulgués, des rites du libre Cupidon

et, pontife de l’Esquilin maléfique,

impunément tu aurais rempli Rome de mon nom ?

60 À quoi me servirait d’avoir enrichi de vieilles Péligniennes

ou de composer un poison plus lestement qu’une autre ?

Mais non, une mort lente t’attend, trop lente pour tes vœux.

Tu devras, misérable, traîner une vie rebutante, pour

y être constamment exposé à de nouvelles douleurs.

65 Le père du déloyal Pélops souhaite le repos,

Tantale, toujours privé du festin généreux.

Prométhée souhaite le repos, enchaîné pour l’aigle,

Sisyphe souhaite poser le rocher au sommet

de la montagne. Mais les lois de Jupiter s’y opposent.

70 Tu voudras parfois te jeter du haut des tours,

parfois t’ouvrir la poitrine avec une épée du Norique,

et en vain tu noueras un lacet autour de ton cou,

chargé de tristesse et de désespoir.

Moi alors, je chevaucherai mon ennemi, montée sur tes épaules,

75 et la terre capitulera devant mon arrogance.

Hé, moi qui peux animer des figures de cire −

tu le sais puisque tu m’as espionné − et du ciel

arracher la lune par mes paroles,

qui peux réveiller les morts réduits en cendre

80 et composer des philtres pour l’amour perdu,

je pleurerais l’échec de mon art, impuissant sur toi ?


Lecture avec le texte latin

Oui, à présent je me rends à ta science puissante

’Iam iam efficaci do manus scientiae,

et je te supplie, je t’implore, par le royaume de Proserpine,

supplex et oro regna per Proserpinae,

par la majesté occulte de Diane,

per et Dianae non mouenda numina,

et par les livres des incantations ayant pouvoir

per atque libros carminum ualentium

5 de déclouer les astres du ciel et de les faire descendre,

5 refixa caelo deuocare sidera,

Canidia, cesse à la fin tes malédictions

Canidia : parce uocibus tandem sacris

et annule en l’inversant, annule l’élan du rhombe.

citumque retro solue, solue turbinem.

Télèphe a fléchi le petit-fils de Nérée

mouit nepotem Telephus Nereium,

contre qui avec orgueil il avait aligné les bataillons

in quem superbus ordinarat agmina

10 des Mysiens et contre qui il avait tourné des traits acérés.

10 Mysorum et in quem tela acuta torserat.

Les mères d’Ilion ont parfumé le cadavre d’Hector,

unxere matres Iliae additum feris

meurtrier promis aux oiseaux et aux chiens sauvages,

alitibus atque canibus homicidam Hectorem,

après que le roi eut quitté les remparts pour aller,

postquam relictis moenibus rex procidit

hélas, se jeter aux pieds d’Achille l’obstiné.

heu peruicacis ad pedes Achillei.

15 Couverts de soies, ils ont dépouillé leur couenne dure,

15 saetosa duris exuere pellibus

les rameurs du vaillant Ulysse,

laboriosi remiges Vlixei

par la volonté de Circé. Alors l’esprit et la voix

uolente Circa membra ; tunc mens et sonus

sont revenus et, sur les visages, la dignité qu’on leur connaissait.

relapsus atque notus in uoltus honor.

J’ai été assez puni, et même au-delà, pour satisfaire ta vengeance,

dedi satis superque poenarum tibi,

20 femme tant aimée des matelots et des petits marchands.

20 amata nautis multum et institoribus.

Ma jeunesse est enfuie et mon teint rougissant

fugit iuuentas et uerecundus color

a laissé en me quittant un squelette habillé de peau blême,

reliquit ossa pelle amicta lurida,

tes parfums ont fait blanchir mes cheveux.

tuis capillus albus est odoribus,

Aucun loisir ne me délasse de mon travail,

nullum a labore me reclinat otium ;

25 la nuit chasse le jour, le jour chasse la nuit et il n’est pas

25 urget diem nox et dies noctem neque est

de soulagement possible pour mon sein gonflé de soupirs.

leuare tenta spiritu praecordia.

Je le niais, mais je suis vaincu, forcé de croire, dans mon malheur,

ergo negatum uincor ut credam miser,

que les incantations sabelliennes vrillent le cœur,

Sabella pectus increpare carmina

que les nénies marses font éclater la tête.

caputque Marsa dissilire nenia.

30 Que veux-tu de plus ? ô mer, ô terre, je brûle,

30 quid amplius uis ? o mare et terra, ardeo,

comme jamais on n’a brûlé, ni Hercule imprégné du noir

quantum neque atro delibutus Hercules

sang de Nessus, ni la flamme sicilienne

Nessi cruore nec Sicana feruida

vigoureuse dans la fournaise de l’Etna. Toi, jusqu’au moment où

uirens in Aetna flamma ; tu, donec cinis

m’emporteront, cendre desséchée, des vents funestes,

iniuriosis aridus uentis ferar,

35 tu te réchauffes, officine des poisons colchidiens, de leur bouillon.

35 cales uenenis officina Colchicis.

Quelle issue me reste-t-il ? Quel tribut à payer ?

quae finis aut quod me manet stipendium ?

Parle ! Je m’acquitterai fidèlement de ma peine selon tes ordres,

effare ; iussas cum fide poenas luam,

je suis prêt à expier, que tu me réclames

paratus expiare, seu poposceris

cent bœufs ou que tu veuilles entendre sonner

centum iuuencos siue mendaci lyra

40 sur ma lyre menteuse : « Toi, femme chaste, femme vertueuse,

40 uoles sonare : ’’tu pudica, tu proba

tu iras parmi les astres, étoile d’or. »

perambulabis astra sidus aureum.’’

Castor, qui avait pris pour lui l’offense faite à Hélène, dénigrée,

infamis Helenae Castor offensus uice

et le frère du grand Castor furent vaincus par la prière

fraterque magni Castoris, uicti prece,

et ils rendirent au poète les yeux qu’ils lui avaient pris.

adempta uati reddidere lumina :

45 Toi aussi, oui, tu le peux, délivre-moi de ma folie,

45 et tu, potes nam, solue me dementia,

ô toi qui n’es pas flétrie par la bassesse de ton père,

o nec paternis obsoleta sordibus

et tu n’es pas la vieille femme parmi les tombes des pauvres

neque in sepulcris pauperum prudens anus

qui s’y entend à disperser les cendres du neuvième jour [1],

nouendialis dissipare pulueres.

tu as le cœur affable et les mains pures,

tibi hospitale pectus et purae manus

50 Pactuméius est le fils de ton ventre et ton

50 tuosque uenter Pactumeius et tuo

sang rougit les linges que lave la sage-femme

cruore rubros obstetrix pannos lauit,

chaque fois que tu te relèves, courageuse, d’un accouchement.

utcumque fortis exsilis puerpera.’

Pourquoi cet épanchement de prières ? mes oreilles leur sont fermées.

’Quid obseratis auribus fundis preces ?

Les rochers que Neptune dans la tempête bat des vagues du large

non saxa nudis surdiora nauitis

55 ne sont pas plus sourds pour les marins abandonnés.

Neptunus alto tundit hibernus salo.

Sans châtiment tu te serais moqué des mystères de Cotytto

inultus ut tu riseris Cotytia

partout divulgués, des rites du libre Cupidon

5 uolgata, sacrum liberi Cupidinis,

et, pontife de l’Esquilin magique,

et Esquilini pontifex uenefici

impunément tu aurais rempli Rome de mon nom ?

inpune ut Vrbem nomine inpleris meo ?

60 À quoi me servirait d’avoir enrichi de vieilles péligniennes

quid proderat ditasse Paelignas anus

ou de composer un poison plus lestement qu’une autre ?

uelociusue miscuisse toxicum ?

Mais non, une mort lente t’attend, trop lente pour tes vœux.

10 sed tardiora fata te uotis manent :

Tu devras, misérable, traîner une vie rebutante, pour

ingrata misero uita ducenda est in hoc,

y être constamment exposé à de nouvelles douleurs.

nouis ut usque suppetas laboribus.

65 Le père du déloyal Pélops souhaite le repos,

optat quietem Pelopis infidi pater,

Tantale, toujours privé du festin généreux.

egens benignae Tantalus semper dapis,

Prométhée souhaite le repos, enchaîné pour l’aigle,

15 optat Prometheus obligatus aliti,

Sisyphe souhaite poser le rocher au sommet

optat supremo collocare Sisyphus

de la montagne. Mais les lois de Jupiter s’y opposent.

in monte saxum ; sed uetant leges Iouis.

70 Tu voudras parfois te jeter du haut des tours,

uoles modo altis desilire turribus,

parfois t’ouvrir la poitrine avec une épée du Norique,

frustraque uincla gutturi innectes tuo

et en vain tu noueras un lacet autour de ton cou,

20 modo ense pectus Norico recludere

chargé de tristesse et de désespoir.

fastidiosa tristis aegrimonia.

Moi alors, je chevaucherai mon ennemi, montée sur tes épaules,

uectabor umeris tunc ego inimicis eques

75 et la terre capitulera devant mon arrogance.

meaeque terra cedet insolentiae.

Hé, moi qui peux animer des figures de cire −

an quae mouere cereas imagines,

tu le sais puisque tu m’as espionné − et du ciel

25 ut ipse nosti curiosus, et polo

arracher la lune par mes paroles,

deripere lunam uocibus possim meis,

qui peux réveiller les morts réduits en cendre [2]

possim crematos excitare mortuos

80 et composer des philtres pour l’amour perdu,

desiderique temperare pocula,

je pleurerais l’échec de mon art, impuissant sur toi ?

plorem artis in te nil agentis exitus ?’


[1La dispersion des cendres doit correspondre à une opération magique. Ce sont les cendres du neuvième jour car les cérémonies funèbres duraient neuf jours.

[2À propos de réveiller les morts : il ne s’agit pas de "résurrection", mais d’invoquer les âmes pour obtenir des révélations. Canidia est en effet représentée par Horace en train de se livrer à chacune de ses pratiques. Voir Horace, Satire I, 8 (Priape et les sorcières) et Horace, Épode 5 (L’enfant et les sorcières).

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