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Horace, Odes III 4 | Calliope
mardi 17 septembre 2013, par
Descends du ciel et chante, allons, chante au son de la flûte,reine, chante, Calliope, un long poème,si tu préfères maintenant, de ta voix aiguë,ou sur la lyre, sur la cithare de Phébus.Entendez-vous ? Ou suis-je le jouet d’une adorablefolie ? Je l’entends et je crois me promenerparmi un bois sacré, délicieusementtraversé d’eaux courantes et de souffles légers.Moi, comme dans la légende, sur le Vultur apulien,mais hors des limites de mon Apulie, ma nourrice,un jour que j’étais épuisé de jeu et de sommeil,de feuillages nouveaux des colombes ont couvertl’enfant que j’étais, merveille pour tous ceuxqui habitaient le nid de la haute Acherontie,les gorges de Bantia et les grassesterres de labour de l’humble Forentede me voir dormir, toute ma personne protégée des noires vipèreset des ours, de voir sur moi une couverture sacréede laurier et de myrte emmêlés,petit enfant sans parole, sans force sinon grâce aux dieux.Vôtre, Camènes, je suis vôtre, quand sur les monts abruptsde Sabine je m’élève, à moins que ne me plaisentou la limpidité de Baïes.Ami de vos sources et de vos danses,ni la déroute de l’armée à Philippes,ni l’arbre de mauvais sort ne m’ont détruitni la vague sicilienne devant Palinure.Du moment que vous serez avec moi, je veux bienêtre marin, affronter la colère du Bosphore,ou les sables brûlantsdu rivage assyrien, devenu explorateur,j’irai voir les Bretons farouches et inhospitaliers,les Concaniens engraissés au sang de cheval,j’irai voir les Gélons armés du carquois,et le fleuve scythique, inviolable.Vous offrez au grand César, dès qu’il a renvoyé ses cohortesfatiguées du service dans leurs quartiers d’hiveret veut en finir avec les soucis,une récréation sous la grotte du Piéros.Vous êtes conseillères de la douceur et heureusesde le faire, Bienveillantes. Nous savons comment les impies,les Titans, cette horde monstrueuse,de sa foudre prête à tomber les frappacelui qui gouverne la terre engourdie, gouverne la mergrosse de vent, qui tient les villes et le triste royaume,les foules divines et mortellesen son unique et juste pouvoir.Elle avait inspiré une grande frayeur à Jupiter,cette jeunesse téméraire hérissée de bras,ces frères qui cherchaient à mettreque pouvait Porphyrion et son allure menaçante,ou Rhétus ou, lançant des troncs arrachéscomme on fait d’un javelot, l’audacieux Encélade,face à l’égide retentissante de Pallascontre qui ils se précipitaient ? D’un côté se tenait le dévorantcelui qui jamais ne dépose l’arc de ses épaules,qui lave à l’eau pure de Castalieses cheveux défaits, qui habite les futaiesde Lycie et sa forêt natale,La puissance privée de réflexion s’écroule de son propre poids,la puissance raisonnée, les dieux eux-mêmes aident à son progrèstoujours plus grand, mais ils haïssent la forcequi ne sait que pousser l’âme aux actes interdits.Témoin de mes affirmations, le Géant aux cent bras,et l’on connaît aussi l’histoire d’Orion,agresseur de Diane, la déesse pure,et terrassé par une flèche de la vierge.La Terre avec douleur recouvre ses propres monstres,elle pleure ses enfants précipités par la foudrechez Orcus le blafard, et nulle flamme vivene vient à bout de l’Etna qui pèse sur eux,et jamais ne délaisse le foie de Tityos le débauchél’oiseau commis à la garde de sa scélératesse.L’adultère Pirithoüs, trois centchaînes le retiennent prisonnier.
Lecture avec le texte latin
Descends du ciel et chante, allons, chante au son de la flûte,
[3,04,1] Descende caelo et dic age tibia
reine, chante, Calliope, un long poème,
regina longum Calliope melos,
si tu préfères maintenant, de ta voix aiguë,
seu uoce nunc mauis acuta
ou sur la lyre, sur la cithare de Phébus.
seu fidibus citharaue Phoebi.
Entendez-vous ? Ou suis-je le jouet d’une adorable
[3,04,5] Auditis ? An me ludit amabilis
folie ? Je l’entends et je crois me promener
insania ? Audire et uideor pios
parmi un bois sacré, délicieusement
errare per lucos, amoenae
traversé d’eaux courantes et de souffles légers.
quos et aquae subeunt et aurae.
Moi, comme dans la légende, sur le Vultur apulien,
Me fabulosae Volture in Apulo
mais hors des limites de mon Apulie [1], ma nourrice,
[3,04,10] nutricis extra limina Apuliae
un jour que j’étais épuisé de jeu et de sommeil,
ludo fatigatumque somno
de feuillages nouveaux des colombes ont couvert
fronde noua puerum palumbes
l’enfant que j’étais, merveille pour tous ceux
texere, mirum quod foret omnibus
qui habitaient le nid de la haute Acherontie,
quicumque celsae nidum Aceruntiae
les gorges de Bantia et les grasses
[3,04,15] saltusque Bantinos et aruum
terre de labour de l’humble Forente
pingue tenent humilis Forenti,
de me voir dormir, toute ma personne protégée des noires vipères
ut tuto ab atris corpore uiperis
et des ours, de voir sur moi une couverture sacrée
dormirem et ursis, ut premerer sacra
de laurier et de myrte emmêlés,
lauroque conlataque myrto,
petit enfant sans parole, sans force sinon grâce aux dieux.
[3,04,20] non sine dis animosus infans.
Vôtre, Camènes, je suis vôtre, quand sur les monts abrupts
Vester, Camenae, uester in arduos
de Sabine je m’élève, à moins que ne me plaise
tollor Sabinos, seu mihi frigidum
la fraîcheur de Préneste, Tibur en pente douce
Praeneste seu Tibur supinum
ou la limpidité de Baïes.
seu liquidae placuere Baiae ;
Ami de vos sources et de vos danses
[3,04,25] uestris amicum fontibus et choris
ni la déroute de l’armée à Philippes,
non me Philippis uersa acies retro,
ni l’arbre de mauvais sort ne m’ont détruit
deuota non extinxit arbor
ni la vague sicilienne devant Palinure.
nec Sicula Palinurus unda.
Du moment que vous serez avec moi, je veux bien
Vtcumque mecum uos eritis, libens
être marin, affronter la colère du Bosphore,
[3,04,30] insanientem nauita Bosphorum
ou les sables brûlants
temptabo et urentis harenas
du rivage assyrien, devenu explorateur,
litoris Assyrii uiator,
j’irai voir les Bretons farouches et inhospitaliers,
uisam Britannos hospitibus feros
les Concaniens engraissés au sang de cheval,
et laetum equino sanguine Concanum,
j’irai voir les Gélons armés du carquois,
[3,04,35] uisam pharetratos Gelonos
et voir le fleuve scythique, inviolable.
et Scythicum inuiolatus amnem.
Vous offrez au grand César, dès qu’il a renvoyé ses cohortes
Vos Caesarem altum, militia simul
fatiguées du service dans leurs quartiers d’hiver
fessas cohortes abdidit oppidis,
et veut en finir avec les soucis,
finire quaerentem labores
une récréation sous la grotte du Piéros.
[3,04,40] Pierio recreatis antro ;
Vous êtes conseillères de la douceur et heureuses
uos lene consilium et datis et dato
de le faire, Bienveillantes. Nous savons comment les impies,
gaudetis, almae. Scimus ut impios
les Titans, cette horde monstrueuse,
Titanas imnanemque turbam
de sa foudre prête à tomber les frappa
fulmine sustulerit caduco,
celui qui gouverne la terre engourdie, gouverne la mer
[3,04,45] qui terram inertem, qui mare temperat
grosse de vent, qui tient les villes et le triste royaume,
uentosum et urbes regnaque tristia
les foules divines et mortelles
diuosque mortalisque turmas
en son unique et juste pouvoir.
imperio regit unus aequo.
Elle avait inspiré une grande frayeur à Jupiter,
Magnum illa terrorem intulerat Ioui
cette jeunesse téméraire hérissée de bras,
[3,04,50] fidens iuuentus horrida bracchiis
ces frères qui cherchaient à mettre
fratresque tendentes opaco
le Pélion par-dessus l’Olympe mystérieux.
Pelion imposuisse Olympo.
Mais que pouvait Typhée et la violence de Mimas,
Sed quid Typhoeus et ualidus Mimas
que pouvait Porphyrion et son allure menaçante,
aut quid minaci Porphyrion statu,
ou Rhétus ou, lançant des troncs arrachés
[3,04,55] quid Rhoetus euolsisque truncis
comme on fait d’un javelot, l’audacieux Encélade,
Enceladus iaculator audax
face à l’égide retentissante de Pallas
contra sonantem Palladis aegida
contre qui ils se précipitaient ? D’un côté se tenait le dévorant
possent ruentes ? Hinc auidus stetit
Vulcain, de l’autre notre Dame Junon et
Volcanus, hinc matrona Iuno et
celui qui jamais ne dépose l’arc de ses épaules,
[3,04,60] nunquam umeris positurus arcum,
qui lave à l’eau pure de Castalie
qui rore puro Castaliae lauit
ses cheveux défaits, qui habite les futaies
crinis solutos, qui Lyciae tenet
de Lycie et sa forêt natale,
dumeta natalemque siluam,
Apollon de Délos et de Patara.
Delius et Patareus Apollo.
La puissance privée de réflexion s’écroule de son propre poids,
[3,04,65] Vis consili expers mole ruit sua ;
la puissance raisonnée, les dieux eux-mêmes aident à son progrès
uim temperatam di quoque prouehunt
toujours plus grand, mais ils haïssent la force
in maius ; idem odere uires
qui ne sait que pousser l’âme aux actes interdits.
omne nefas animo mouentis.
Témoin de mes affirmations, le Géant aux cent bras,
Testis mearum centimanus gigas
et l’on connaît aussi l’histoire d’Orion,
[3,04,70] sententiarum, notus et integrae
agresseur de Diane, la déesse pure,
temptator Orion Dianae,
et terrassé par une flèche de la vierge.
uirginea domitus sagitta.
La Terre avec douleur recouvre ses propres monstres,
Iniecta monstris Terra dolet suis
elle pleure ses enfants précipités par la foudre
maeretque partus fulmine luridum
chez Orcus le blafard, et nulle flamme vive
[3,04,75] missos ad Orcum ; nec peredit
ne vient à bout de l’Etna qui pèse sur eux,
impositam celer ignis Aetnen,
et jamais ne délaisse le foie de Tityos le débauché
incontinentis nec Tityi iecur
l’oiseau commis à la garde de sa scélératesse.
reliquit ales, nequitiae additus
L’adultère Pirithoüs, trois cent
custos ; amatorem trecentae
chaînes le retiennent prisonnier.
[3,04,80] Pirithoum cohibent catenae.
[1] Je retiens ici la leçon Apuliae et non Pulliae, que l’on suppose alors être le nom de la nourrice réelle d’Horace. Comment Horace peut-il dire à la fois qu’il est et qu’il n’est pas en Apulie ? Selon moi il faut rapprocher avec la satire II 1. Horace aime à dire qu’il est un homme sur la frontière.
Messages
1. Horace, Ode III 4 | Calliope, 18 septembre 2013, 00:00, par brigitte Celerier
le contraste entre la douceur et le violence évoquée ensuite
Oui
La puissance privée de réflexion s’écroule de son propre poids,
la puissance raisonnée, les dieux eux-mêmes aident à son progrès- belle ode et belle traduction - merci
1. Horace, Ode III 4 | Calliope, 18 septembre 2013, 21:41, par Danielle Carlès
C’est une ode très importante : Horace qui se met en scène comme un enfant prédestiné, protégé des dieux, qui lui donne la parole contre des violents qui se trouvent être particulièrement (ce n’est certainement pas par hasard) des agresseurs sexuels, des violeurs. Et il y a un art, sinon une virtuosité, dans la forme qui rend humble, forcément. Merci Brigitte d’être présente et d’accompagner mon travail.
2. Horace, Ode III 4 | Calliope, 18 septembre 2013, 07:44, par Isabelle Pariente-Butterlin
Merveille que cette réflexion sur l’adorable folie … les Anciens portaient sur le monde un regard plus beau que le nôtre. Ça fait du bien de venir se ressourcer chez toi, Danielle.
1. Horace, Ode III 4 | Calliope, 18 septembre 2013, 21:53, par Danielle Carlès
Très heureuse de t’accueillir chez moi, Isabelle (mon nouveau chez-moi) !
Il y a, c’est vrai, l’adorable folie d’Horace, qui n’est autre que la poésie, mais celle-ci est aussi la voix accompagnant la foudre vengeresse d’une violence criminelle : les yeux d’Horace sont ouverts sur un monde qui est tout aussi laid que le nôtre, car ces géants violeurs de femme ne sont pas de pure fantaisie, d’après moi.