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Horace, Satires II 5 | Les héritiers

lundi 12 mars 2012, par Danielle Carlès

l’avenir d’Ulysse

- Tirésias, en plus de ton récit, réponds encore à cette question que je me pose : par quels procédés, par quels moyens pourrais-je retrouver la fortune que j’ai perdue ? Tu ris ? Pourquoi ? (1-3)

- Ce n’est plus suffisant, pour notre héros plein de ruse, de revenir à Ithaque et de revoir les Pénates de son père ? (3-5)

- O toi qui jamais n’as menti à personne, tu vois bien, c’est toi qui prophétises, que je reviens chez moi nu et sans un sou, et que là-bas les prétendants ne se sont pas gênés avec ma cave et mon cheptel. Mais la naissance et la vertu, sans moyens, on en fait bon marché, pire qu’une algue. (5-8)

- Disons-le tout net, tu as horreur de la pauvreté. Puisque c’est comme ça, écoute la méthode qui te permettra de t’enrichir. On te fera cadeau d’une grive, ou d’une autre chose spéciale : qu’elle vole directement finir à l’endroit où brille une grande fortune, pourvu que le maître soit vieux. Les fruits délicieux, tout ce qui fait l’honneur du domaine que tu cultives, qu’il en ait les prémisses de la dégustation, avant ton Lare, car plus que le Lare il convient de le vénérer, le riche, aussi malhonnête soit-il, venu de nulle part, couvert du sang de son frère, esclave fugitif, ne refuse en aucun cas de l’escorter, en lui laissant le haut du pavé, s’il te le demande. (9-17)

- Tu me demandes de protéger, en marchant à son côté [1], une espèce de sale Dama [2] ? J’ai fait bien autre chose à Troie, rivalisant toujours avec les meilleurs. (18-19)

- Par conséquent, tu seras pauvre. (19-20)

la source des torrents de richesse

- J’engagerai à la patience mon cœur courageux. Aussi bien j’ai déjà eu à supporter pire. Mais toi, poursuis sans t’arrêter et dis-moi, augure, d’où faire jaillir ces torrents de richesse, d’où extraire ces montagnes d’argent. (20-22)

- Mais je l’ai dis, et je le redis : partout. Il ne s’agit que de capter les testaments des vieux, en y mettant de l’astuce, sans te décourager ni renoncer au métier, si un ou deux fins matois gobent l’appât à l’hameçon, puis échappent à ton piège. (23-26)

Un jour, par exemple, une grosse affaire ou une petite, sera en débat au forum. L’une des deux parties vivra dans l’aisance, sans enfant. Ce ne sera pas un homme honnête. Il n’aura pas hésité à prendre lui-même l’initiative d’appeler en justice son adversaire, pourtant plus dans son droit. Fais-toi le défenseur du premier et détourne-toi de ce concitoyen qui serait préférable eu égard à sa réputation et à sa cause, mais qui a chez lui un fils, ou une femme en âge de lui en donner. (27-31)

"Quintus" — imagine — ou "Publius" — ces oreilles délicates aiment s’entendre appeler par le prénom — "ton mérite m’inspire de l’amitié. Je connais bien les aléas du droit, je sais défendre une cause. On aura plus tôt fait de m’arracher les yeux que de te berner et de t’appauvrir, ne serait-ce que d’une noix creuse. J’en fais mon affaire, pas question que tu perdes quoi que ce soit ni qu’on se moque de toi." (32-37)

Invite-le à rentrer chez lui et à s’occuper de son petit cocon. Deviens son défenseur officiel, ne lâche pas le morceau, tiens bon, que la rouge Canicule fasse craqueler les statues sans parole ou que Furius, ventre tendu de tripes bien grasses, crache sa neige blanche sur les Alpes hivernales. (37-41)

"Vois-tu, dira quelqu’un, en touchant son voisin du coude, la patience de celui-là, sa complaisance à aider ses amis, sa pugnacité ?" (42-43)

Les thons se mettront à nager plus nombreux vers toi, et tes viviers pospèreront. (44)

Outre ce qui précède, si quelqu’un a reconnu un fils de santé fragile qu’il élève dans le luxe, pour éviter d’être démasqué par un manège trop flagrant autour d’hommes seuls dans la vie, rends-toi utile et rapproche-toi insidieusement, sans avoir l’air d’y toucher, de l’objet de tous tes espoirs. Le but est d’être inscrit sur le testament comme second héritier. Ainsi, au cas où quelque accident pousserait l’enfant chez Orcus, c’est toi qui viendrais prendre la place vacante. Il est très rare de rater ce coup-là. (45-50)

Chaque fois qu’on voudra te faire lire un testament, souviens-toi bien de toujours refuser et de repousser les tablettes loin de toi, mais débrouille-toi en même temps pour attraper au passage, d’un regard en biais, les volontés inscrites sur la cire à la seconde ligne, es-tu le seul ou y a-t-il plusieurs héritiers de même rang ? d’un rapide coup d’œil balaye l’ensemble. (51-55)

la prophétie de Tirésias

Plus d’une fois il arrivera qu’un ancien quinquevir ayant pris la teinture d’un scribe déjoue le corbeau qui attend le bec ouvert, plus d’une fois c’est le captateur, c’est Nasica qui donnera à Coranus l’occasion de rire. (55-57)

- Es-tu en train de délirer ? ou veux-tu sciemment m’embrouiller avec une obscure prédiction ? (58)

- O fils de Laerte, tout ce que je dis sera ou ne sera pas, car le grand Apollon m’accorde d’être devin. (59-60)

- Oui, mais explique un peu ce que ton histoire veut dire, si cela t’est permis. (61)

- Au temps où un jeune homme, la terreur des Parthes, un descendant du grand Énée, s’affirmera sur la terre et sur la mer, la longue fille de Nasica s’unira au brave Coranus. C’est que Nasica craint d’avoir à rendre des sommes empruntées. (62-65)

Voici ce que fera alors le gendre. Il donnera à son beau-père les tablettes où est porté son testament, en le priant de les lire. Nasica commencera par refuser énergiquement, puis finalement acceptera et les lira en silence et découvrira que rien ne lui est laissé, ni à lui, ni à personne de sa famille, sinon les yeux pour pleurer. (66-69)

la vertu de Pénélope

J’ajoute cette instruction : si une femme rusée ou un affranchi régissent la vie d’un vieillard sénile, fais alliance avec eux, chante leur louange pour qu’ils chantent la tienne quand tu n’es pas là. (70-72)

Oui, c’est un moyen qui aide bien, mais le plus efficace, et de loin, c’est encore de s’attaquer directement à la tête. Il a la manie d’écrire de mauvais vers : chante ses louanges. Il court les femmes : n’attends pas qu’il te demande, prends les devants, montre-toi complaisant et livre Pénélope à ton seigneur et maître. (73-76)

- Et tu t’imagines qu’une femme aussi honnête, aussi chaste se laisserait faire ? Les prétendants n’ont pas réussi à la faire dévier du droit chemin. (76-78)

- Il n’est venu que des jeunes, ils sont regardants sur les beaux cadeaux et s’intéressent moins à Vénus qu’au contenu de leur assiette. Voilà pourquoi ta Pénélope est honnête. Mais une fois qu’elle aura goûté le plaisir de partager avec toi les bons petits profits à tirer d’une relation avec un vieux, elle sera comme le chien qui ne veut plus lâcher sa pelote de cuir huilée. (79-83)

Ce que je vais te raconter s’est réellement passé quand j’étais un vieil homme. Une vieille sans pudeur, à Thèbes, d’après les termes de son testament, fut menée en terre de la manière suivante : son héritier transporta le cadavre tout frotté d’huile sur ses épaules nues. De toute évidence la morte aurait voulu pouvoir lui glisser des mains. La raison en est, je crois bien, qu’il avait montré beaucoup trop d’empressement à l’égard de la vivante. (84-88)

bienfaits de l’esclavage

Sois prudent dans tes travaux d’approche, jamais en défaut d’attention, mais sans dépasser les bornes. Dans ses moments de mauvaise humeur et de mélancolie, ton bavardage le heurtera. Rien de plus que "Non. — Oui.", et tais-toi. Sois le Davus de la comédie, tiens-toi là, tête baissée, dans l’attitude de quelqu’un qui a peur. Le suivre avec déférence te fera progresser. Conseille-lui, s’il y a un courant d’air, d’avoir la précaution de couvrir sa précieuse tête. Isole-le de la foule en lui faisant un rempart de tes épaules. (88-95)

Quand il aura envie de parler, dresse les oreilles. Plus il ennuie son monde, plus il aime les compliments : tant qu’il n’aura pas dit "Holà, c’est bon !" en levant les mains au ciel, ne le lâche pas, souffle, souffle, l’outre s’enfle sous l’effet des mots hypertrophiés. (95-98)

Le jour où il te délivrera de ce long servage, de ces longs soucis, et que, bien réveillé, tu auras entendu prononcer : "À Ulysse revient un quart de l’héritage", laisse tomber de temps en temps : "Ainsi donc Dama, ce cher camarade, n’est plus de ce monde ! Où trouver quelqu’un d’autre d’aussi brave et d’aussi fidèle ?", pleure un peu aussi, si tu y arrives. Il y a moyen de masquer l’expression de joie sur ton visage. Le soin du sépulcre a été confié à ta décision : ne lésine pas sur le monument. Que tout le voisinage fasse l’éloge de ces funérailles si magnifiques. (99-106)

Il y aura peut-être parmi tes cohéritiers un vieillard atteint d’une mauvaise toux. Dis-lui que s’il est acquéreur d’une terre ou d’une maison sur ta part d’héritage, tu te feras un plaisir de la lui céder pour une somme très modique. (106-109)

Mais la tyrannique Proserpine m’entraîne. Longue vie, porte-toi bien. (109-110)


[1Marcher à côté de quelqu’un de manière à montrer qu’on l’honore, c’est "protéger" son côté exposé, c’est-à-dire, en suivant un mur, le côté libre vers la rue, sinon par défaut, son côté gauche.

[2C’est le diminutif d’un nom d’esclave répandu, donc ici à valeur générique.

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