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Virgile, Énéide IV v. 333-361 | Ce que veut Énée
mardi 16 septembre 2014, par
À la fin, en peu de mots il répond : "Moi, tout ce que tu dis, si longue
soit la liste que tu en fais, jamais, Reine, je ne nierai
que tu mérites ma reconnaissance, et sans répit j’aurai mémoire d’Élissa335
tant que durera la mémoire de moi-même, tant qu’un souffle gouvernera mon corps.
Sur la réalité des faits, j’ai peu à dire. Mais non, cacher mon départ avec ruse,
je n’y ai pas songé, n’imagine pas ça. Et de t’épouser, non, jamais
je n’ai invoqué ces flambeaux et je ne cherchais pas un mariage en venant.
Moi, si le destin permettait que je mène ma vie340
sous mes propres auspices et qu’à ma guise je dispose de mes devoirs,
à la ville de Troie d’abord et aux miens tendrement chéris
qui me restent je me consacrerais, les hauts toits de Priam seraient toujours debout,
et de ma main j’aurais fait renaître Pergame pour les vaincus.
Mais en vérité, c’est la grande Italie que l’Apollon de Grynium,345
l’Italie, que les oracles lyciens m’ont ordonné d’aller chercher :
tel est mon amour, telle est ma patrie. Si, toi, la citadelle de Carthage,
Phénicienne, et la vue de ta ville libyenne te retiennent si fort,
pourquoi enfin, que les Troyens s’installent en terre d’Ausonie,
le voir d’un mauvais œil ? À nous aussi il est permis de quêter un autre royaume.350
Moi, il y a mon père Anchise. Chaque fois, dès que de ses ombres humides
la nuit couvre la terre, que pointent les feux des étoiles,
vient m’avertir en rêve et m’épouvanter son fantôme tourmenté.
Moi, il y a mon fils Ascagne, et l’injustice envers sa chère tête,
que du royaume d’Hespérie je lèse, et des terres prédestinées.355
Et maintenant de plus l’interprète des dieux, envoyé par Jupiter en personne —
j’en prends nos deux têtes à témoin ! — traversant les brises rapides, un ordre
m’a porté. Moi-même, le dieu, en pleine lumière, oui, je l’ai vu
franchir ces murs, et j’ai capté sa voix par mes oreilles.
Cesse de me tourmenter, de te tourmenter avec tes plaintes :360
l’Italie, ce n’est pas ma volonté si je vais la chercher."
Lecture avec le texte latin
À la fin, en peu de mots il répond :"Moi, tout ce que tu dis, si longue
Tandem pauca refert : "Ego te, quae plurima fando
sois la liste que tu en fais, jamais,Reine, je ne nierai
enumerare uales, numquam, regina, negabo
que tu mérites ma reconnaissance,et sans répit j’aurai mémoire d’Élissa335
335 promeritam ; nec me meminisse pigebit Elissae,
tant que durera la mémoire de moi-même,tant qu’un souffle gouvernera mon corps.
dum memor ipse mei, dum spiritus hos regit artus.
Sur la réalité des faits, j’ai peu à dire.Mais non, cacher mon départ avec ruse,
Pro re pauca loquar. Neque ego hanc abscondere furto
je n’y ai pas songé, n’imagine pas ça.Et de t’épouser, non, jamais
speraui — ne finge — fugam, nec coniugis umquam
je n’ai invoqué ces flambeaux,et je ne cherchais pas un mariage en venant.
praetendi taedas, aut haec in foedera ueni.
Moi, si le destin permettaitque je mène ma vie340
340 Me si fata meis paterentur ducere uitam
sous mes propres auspices et qu’à ma guiseje dispose de mes devoirs,
auspiciis et sponte mea componere curas,
à la ville de Troie d’abordet aux miens tendrement chéris
urbem Troianam primum dulcisque meorum
qui me restent je me consacrerais,les hauts toits de Priam seraient toujours debout,
reliquias colerem, Priami tecta alta manerent,
et de ma main j’aurais fait renaître Pergamepour les vaincus.
et recidiua manu posuissem Pergama uictis.
Mais en vérité, c’est la grandeItalie que l’Apollon de Grynium,345
345 Sed nunc Italiam magnam Gryneus Apollo,
l’Italie que les oracles lyciensm’ont ordonné d’aller chercher :
Italiam Lyciae iussere capessere sortes :
tel est mon amour, telle est ma patrie.Si, toi, la citadelle de Carthage,
hic amor, haec patria est. Si te Karthaginis arces,
Phénicienne, et la vue de ta ville libyennete retiennent si fort,
Phoenissam, Libycaeque aspectus detinet urbis,
pourquoi enfin, que les Troyenss’installent en terre d’Ausonie,
quae tandem, Ausonia Teucros considere terra,
le voir d’un mauvais œil ? À nous aussiil est permis de quêter un autre royaume.350
350 inuidia est ? Et nos fas extera quaerere regna.
Moi, il y a mon père Anchise.Chaque fois, dès que de ses ombres humides
Me patris Anchisae, quotiens umentibus umbris
la nuit couvre la terre,que pointent les feux des étoiles,
nox operit terras, quotiens astra ignea surgunt,
vient m’avertir en rêveet m’épouvanter son fantôme tourmenté.
admonet in somnis et turbida terret imago ;
Moi, il y a mon fils Ascagne,et l’injustice envers sa chère tête,
me puer Ascanius capitisque iniuria cari,
que du royaume d’Hespérie je lèse,et des terres prédestinées.355
355 quem regno Hesperiae fraudo et fatalibus aruis.
Et maintenant de plus l’interprète des dieux,envoyé par Jupiter en personne —
Nunc etiam interpres diuom, Ioue missus ab ipso —
j’en prends nos deux têtes à témoin ! — traversant les brises rapides, un ordre
testor utrumque caput — celeris mandata per auras
m’a porté. Moi-même, le dieuen pleine lumière, oui, je l’ai vu
detulit ; ipse deum manifesto in lumine uidi
franchir ces murs, et j’ai capté sa voixpar mes oreilles.
intrantem muros, uocemque his auribus hausi.
Cesse de me tourmenter, de te tourmenteravec tes plaintes :360
360 Desine meque tuis incendere teque querelis :
l’Italie, ce n’est pas ma volontési je vais la chercher."
Italiam non sponte sequor."