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Virgile, Énéide I v. 631-756

nouvelle version remuée

vendredi 11 avril 2014, par Danielle Carlès

Ainsi se souvient-elle, et aussitôtfait conduire Énée au palais royal
dans ses appartements, et aussitôtprescrit les honneurs aux dieux dans les temples,
ne manque pas entre temps d’envoyeraux compagnons restés sur le rivage
vingt taureaux, cent dos hérissés d’énormes
porcs, cent agneaux bien gras avec leur mère,635
cadeaux et allégresse de ce jour.
Mais à l’intérieur du palais,éclatant de luxe royal,
on se prépare et on apprêteun banquet au sein des appartements :
des étoffes travaillées avec artet de pourpre superbe,
une grandiose argenterie de table,et, ciselées dans l’or,640
les hauts faits des anciens pères, une longuesérie d’histoires
conduite par tant de héros depuisl’origine antique de la famille.
Énée, car pour un pèrejamais l’esprit n’est en repos,
l’amour ne le lui permet pas,dépêche aux navires le plus rapide, Achate :645
à Ascagne il portera les nouvelleset le ramènera en personne aux remparts,
car en Ascagne réside tout le soucid’un père tendrement aimé.
Des présents par ailleurs,soustraits à la ruine d’Ilion,
il lui dit d’apporter : un manteau empeséde broderies et d’or,
et un voile tissé en son pourtourd’acanthes safranées,
parures de l’Argienne Hélène,que l’héroïne de Mycènes650
à Pergame, quand elle vint y chercherun hymen interdit,
avait emportées avec elle,don merveilleux de sa mère Léda,
et en outre le sceptre qu’Ilionéavait porté un jour,
fille aînée de Priam,et puis un collier, un sautoir
de perles, ainsi qu’une double couronnede gemmes et d’or.655
Se hâtant d’obéir, Achatecheminait à grands pas vers les navires.
Mais Cythérée retourne dans son cœurde nouveaux stratagèmes, de nouveaux
desseins, de sorte que, changeant d’aspectet de visage, Cupidon
au lieu du doux Ascagne arriveet, avec les présents, d’une folle passion
enflamme la Reine et lui jettele feu au creux des os.660
Car elle se méfie d’une maison peu sûre,des Tyriens au double langage,
à petit feu sans pitié Junon la tortureet à la nuit l’inquiétude revient en force.
Donc au dieu ailé en ces motselle va parler, à l’Amour :
« Mon fils, ma force, ma grande puissanceà toi tout seul,
mon fils, dédaigneux des traits typhéenslancés par le Père très-haut,665
je viens à toi comme dernier recourset suppliante je réclame tes pouvoirs.
Que ton frère Énée sur la mer de rivage en
rivage est persécuté par la haineinique de Junon,
cela t’est bien connu, et ma souffranceplus d’une fois t’a fait souffrir.
Or la Phénicienne le captive, Didon,et le retient avec de caressantes670
paroles, et j’appréhende, d’une protégéede Junon, le tour que prendra
son hospitalité : elle ne manquerapas de jouer d’un si puissant levier.
C’est pourquoi, de capturer avant par la ruseet ceinturer de flammes
la Reine j’ai l’idée, afin qu’aucun pouvoirne puisse la changer,
mais que par sa puissance, pour Énée, avec moi,la retienne l’amour.675
Par quel moyen tu peux réaliser cela,écoute à présent ce à quoi je pense :
le jeune prince, à l’appel de son pèrebien-aimé, pour la ville
sidonienne se prépare à partir,l’enfant, objet de tous mes soins,
apportant des cadeaux, restes sauvésdes mers et des flammes de Troie.
Lui, c’est moi, l’ayant engourdi de sommeil, qui,sur les sommets de la haute Cythère680
ou ceux d’Idalion en un lieu sacré,irai le renfermer,
pour lui éviter de savoir quoi que ce soitde la ruse, ou de s’y trouver mêlé.
Toi, prenant son aspect juste une seule nuit,
trompe-les avec ruse et du visageconnu de l’enfant, enfant, revêts-toi,
afin qu’au moment où contre son seinavec bonheur t’accueillera Didon,685
dans la royale abondance des tableset les flots de Lyaeus,
au moment où elle te prendra dans ses braset de tendres baisers t’étouffera,
un feu obscur tu lui inspireset l’abuses de ton venin. »
Obéissant, l’Amour se plie à la demandede sa mère chérie, et de ses ailes
il se défait, et s’amuse à marcheravec les pas de Iule.690
Vénus, elle, pour Ascagne dans tout le corpsun paisible repos
fait couler et, blotti contre son sein,la déesse l’enlève sur les hauts sommets
d’Idalion dans un bois sacré,où une souple marjolaine lui
fait de ses fleurs un berceau odorant,et doucement l’entoure de son ombre.
Et déjà sur la route, obéissant aux ordres,Cupidon portait les présents695
royaux aux Tyriens, sous la conduite d’Achatejoyeusement.
Lorsqu’il arrive, la Reine déjàsur les tapis superbes
d’un lit en or s’est installéeet s’est mise à la place du milieu.
Déjà le seigneur Énée et déjàla jeunesse de Troie
se rassemblent, et l’on s’étend pour mangersur des couvertures de pourpre.700
Les domestiques offrent l’eau pour les mainset de Cérès dans les corbeilles
s’occupent et ils apportent des serviettesde toile fine.
Cinquante femmes à l’intérieuront tâche d’ordonner l’interminable
dressage du repaset sur le feu d’imprégner d’odeurs les Pénates,
cent autres et autant de serviteurs du même âge705
de charger les tables des metset de servir à boire.
Et ne manquent pas les Tyriens,passant le seuil en fête, ils sont nombreux
à s’être rassemblés, invités à s’étendresur les coussins brodés.
Ils s’émerveillent des présents d’Énée,ils s’émerveillent devant Iule,
le feu divin sur son visageet le mensonge de ses mots,710
et devant le manteau et le voile brodéd’acanthes safranées.
Surtout l’infortunée,dévouée au malheur futur,
d’en rassasier son âme est incapable, et elle s’enflamme à leur vue,
la Phénicienne, émuepar l’enfant autant que par les cadeaux.
Lui, quand aux bras d’Énée,quand à son cou il s’est pendu,715
qu’il a comblé l’immense amourde son supposé père,
vers la Reine se tourne. Elle, des yeux,elle, de tout son cœur,
s’y attache et de temps en tempsle blottit sur son sein, inconsciente, Didon,
du puissant dieu assis, malheureuse, sur elle.Mais il n’oublie pas, lui,
sa mère acidalienne et insensiblement,de supprimer Sychée720
il commence et en faveur d’un amour vivanttâche de prévenir
ses sens, si longtemps endormis,et son cœur déshabitué.
Après le calme de la première partiedu banquet, et quand les tables sont desservies,
on installe les grands cratèreset sur le vin on jette des couronnes.
Le bruit monte dans le palaisun roulement de voix traverse tout l’espace725
des salles. On suspend les lampes aux plafonds dorés,
allumées, et sur la nuit les flammes des torchesont la victoire.
Alors la Reine réclama,lourde de gemmes et d’or,
puis remplit de vin pur, la coupedont Bélus et tous ceux
nés de Bélus se servaient d’ordinaire.À l’instant on fit silence dans le palais :730
« Jupiter, car pour les hôtes, c’est toiqui dictes les lois, nous dit-on,
qu’aujourd’hui soit un jour de fêtepour les Tyriens et ceux partis de Troie,
et veuille aussi que nos générations futuresen gardent la mémoire !
Nous assiste Bacchus, dispensateur de joie,et la bonne Junon !
Et vous, ô Tyriens, célébrezcette rencontre en y applaudissant ! »735
Elle dit, et sur la table versale liquide en offrande,
et la première, après la libation,y porta le bord de ses lèvres,
puis à Bitias la donna, l’exhortant à boire.Celui-ci sans hésiter vida jusqu’au fond
la patère mousseuse,s’inonda de la pleine coupe en or,
et après lui les autres princes.De la cithare, Iopas le chevelu740
fait entendre le son, de sa cithare d’or,lui dont le maître fut l’immense Atlas.
Maintenant il chante la lune vagabondeet les éclipses du soleil,
d’où viennent humains et troupeaux, d’où l’eau et le feu,
Arcture, et, porteuses de pluie, les Hyades,et le couple des deux Chariots,
pourquoi avec tant de hâte dans l’Océanvont plonger les soleils745
en hiver, ou, quand elle arrive tard,par quoi la nuit est retenue.
Applaudissent à tout rompre les Tyriens,et les Troyens les suivent.
Et elle aussi parlant de mille chosesfaisait traîner la nuit,
l’infortunée Didon, et longuementelle buvait l’amour,
multipliant sur Priam les questionssur Hector les multipliant,750
puis le fils de l’Aurore, les armes avec lesquellesil était arrivé,
puis la race des chevaux de Diomède,puis la taille d’Achille.
« Ou plutôt, s’il te plaît, reprenant au débutraconte-nous, notre hôte,
les embûches, dit-elle,des Danaens et les malheurs des tiens,
et tes errements, car déjà s’achèvele septième été qui t’emporte755
dans l’errance partout sur la terre et les flots. »

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