Accueil > Traductions > Latin > Virgile > Enéide > Enéide Livre I > Virgile, Énéide I v. 494-630

Virgile, Énéide I v. 494-630

nouvelle version remuée

jeudi 3 avril 2014, par Danielle Carlès

Or, tandis que le Dardanien, Énée,est dans l’admiration de ces images,
dans la stupéfaction, et qu’il est là cloué sur place à regarder,495
la reine vint au temple,Didon à la beauté parfaite
s’avança, entourée de jeunes gensen grand cortège.
Ainsi qu’au bord de l’Eurotasou bien sur les crêtes du Cynthe,
Diane entraîne ses chœurs, et par milliers la suivent,
se rassemblant d’ici et là, les Oréades,elle avec le carquois500
à l’épaule, qui marche et par sa tailledépasse toutes les déesses,
et Latone, une joie secrètelui envahit le cœur,
telle était Didon, telle heureuseelle se déplaçait
au milieu de la foule, attentive aux travauxet à l’avenir du royaume.
Puis aux portes de la déesse,au milieu de la salle couverte du temple,505
encerclée d’armes protectrices,sur un trône surélevé elle prit place.
Elle dictait le droit, les lois aux hommes,divisait la difficulté des tâches
en justes parts et les tirait au sort,
quand soudain Énée voit s’approcher d’euxavec un grand attroupement
Anthée, Sergeste et le vaillant Cloanthe,510
et d’autres Troyens parmi ceux que la tourmenteaffreuse sur toute la mer
avait dispersés et transportés loinvers d’autres bords.
La stupeur le saisit aussitôt, lui,aussitôt fut frappé Achate
de joie et d’inquiétude. Un grand désird’aller serrer leurs mains
les brûlait, mais l’étrangetéde la chose les trouble,515
ils restent cachés et espionnent,couverts de la brume impalpable,
pour connaître le sort des hommes,le rivage où ils ont laissé la flotte,
la raison de leur venue, car les représentants,de tous les navires avançaient
en implorant grâce et gagnaient le templeaccompagnés d’une grande clameur.
Une fois entrés, ayant reçu la permissionde parler devant tous,520
le doyen, Ilionée,calmement commença ainsi :
« Ô Reine, à qui Jupiter a donnéde fonder une jeune ville
et, par ta justice, de contenirles peuples arrogants,
nous, Troyens pitoyables,par les vents sur toutes les mers charriés,
nous t’implorons : évite à nos naviresun feu ignoble !525
Épargne un peuple pieux, et de plus près regardece qu’il en est de nous.
Ce n’est pas, le fer à la main,pour les Libyens, dévaster leurs Pénates,
que nous sommes venus, ni pour pilleret ramener sur la plage un butin,
nous n’avons ni violentes intentions,ni un orgueil trop grand pour des vaincus.
Il y a un pays, Hespérie est le nomque lui donnent les Grecs,530
terre antique, puissante par ses armeset la fécondité du sol.
Les Œnotres l’ont habitée, mais maintenanton dit que les générations nouvelles
Italie l’ont appelée, du nom de leur chef.
C’est là que nous allions,
quand soudain, surgissant des flots,gonflé d’orages, Orion535
sur des bas-fonds invisibles nous a portés et jusqu’au dernier, sous les Austers déchaînés,
parmi les vagues, à la mercide la mer, parmi d’impraticables récifs,
nous a dispersés. Jusqu’ici, un petit nombre,nous avons vogué, abordant chez vous.
Mais quelle est cette espèce d’hommes ?Cette conduite, qui d’aussi barbare
se le permet, quelle patrie ? On nous refusel’hospitalité, sur un bout de sable,540
on appelle à la guerre et on nous interditde mettre un pied à terre !
Si de l’humanité vous ne tenez pas compte,ni des armes mortelles,
croyez bien que les dieuxont la mémoire du bien et du mal !
Comme Roi, nous avions Énée,et jamais personne ne fut plus juste
ni de plus grande piété, ni plus grand guerrierou meilleur sous les armes.545
Ce héros, si le destin le préserve,s’il se nourrit des souffles
éthérés, s’il n’est pas couché encoresous les ombres cruelles,
aucune crainte ! à rivaliser de bienfaits,si tu es la première,
tu ne le regretteras pas.Mais il y a aussi en Sicile des villes
et des armes, et, Troyen de sang, l’illustre Aceste.550
Les vents ont endommagé notre flotte :qu’il soit permis de la tirer au sec
et, dans la forêt, débiter des poutres,tailler des rames.
Si notre lot est l’Italie,nos amis et notre roi retrouvés,
de nous rendre là-bas, pour l’Italie, heureux,et le Latium, que nous puissions partir !
Mais si tout salut est anéantiet que toi, Père très bon des Troyens,555
de la mer de Libye tu es la proieet qu’il ne reste plus aucun espoir de Iule,
vers le détroit de Sicile, du moins,et les demeures déjà prêtes,
d’où nous avons été transportés jusqu’ici,puissions-nous partir, retrouver le roi Aceste ! »
Les paroles d’Ilionée suscitaientle murmure unanime
des Dardanides.560
Alors en peu de mots Didon,baissant son visage, leur dit :
« Libérez vos cœurs de toute crainte, Troyens,bannissez l’inquiétude.
La dureté du temps et la jeunessedu royaume me contraignent à de telles
mesures, à garder nos frontièrespar une large surveillance.
Mais les Énéades, mais la ville de Troie,qui pourrait ne pas les connaître,565
leurs mérites et leurs hommes, et les embrasementsd’une si grande guerre ?
Non, tant de grossièreté n’est pas l’apanagede nos cœurs, nous, Puniques,
et tant de distance n’éloigne pas la villetyrienne du Soleil attelant ses chevaux.
Vous, la grande Hespérie et ses champs saturniens,
ou le pays d’Éryx avec le roi Aceste,quoi que vous choisissiez,570
je vous aiderai à partir en sûretéet vous en donnerai tous les moyens.
Et, voulez-vous avec moi, à égalité,vous établir dans le royaume ?
La ville que je bâtis est la vôtre,tirez à terre vos navires.
Troyen ou Tyrien quant à moije ne ferai aucune différence.
Ah, si seulement votre Roi lui-même,par le Notus poussé au même endroit,575
était ici, Énée ! Mais le long de la côte,je vais choisir des hommes sûrs,
les envoyer, leur donner ordre de fouillerl’extrémité de la Libye,
s’il avait débarqué et, dans une forêtou une ville, cherche son chemin. »
Ces paroles faisaient bondir le cœuret du vaillant Achate
et du seigneur Énée. Depuis un bon moment l’envie de rompre le nuage580
les brûlait. Le premier, Achatese tourne vers Énée :
« Fils d’une déesse, à présentquelle idée se fait jour en toi ?
Notre sécurité est totale, tu vois,notre flotte et nos amis retrouvés.
Un seul manque, celui que dans les flotsnous avons vu nous-mêmes
se faire engloutir. Pour le restetout est conforme aux dires de ta mère. »585
À peine avait-il prononcé ces mots,qu’autour d’eux, d’un seul coup,
se crève le nuage et dans le pur étheril se dissipe.
Il resta Énée et dans le jour clairil rayonna,
visage et épaules semblables à un dieu,car c’était elle, l’harmonie
de sa coiffure, pour son fils sa mère,l’éclat de la jeunesse590
pourprée et la joie dans ses yeux dont en un souffleelle l’avait paré,
comme les artisans rajoutent sur l’ivoirede la beauté ou quand d’un ton fauve
l’argent ou le marbre de Paros se relèvent,entourés d’or.
Et c’est ainsi qu’à la Reine il s’adresse,et que soudainement,
à la surprise générale, il dit :« Voilà face à vous celui que vous cherchez, moi,595
le troyen Énée, réchappé des flots libyens !
Ô toi seule aux affreux malheurs de Troiecompatissante,
toi qui avec nous, rescapés des Danaens,et, sur terre comme sur mer
ruinés par tous les hasards, démunis de tout,
offres de partager ta ville, ta maison !Acquitter notre dette de reconnaissance600
n’est pas en nos moyens, Didon,pas même avec tout ce qu’il peut rester
de la famille dardanienne,dispersée dans le vaste monde.
Que les dieux, s’il y a quelques divinitésattentives aux êtres pieux, s’il y a
quelque part la justiceet un esprit conscient du bien,
te récompensent à la hauteur de ton mérite !Quel bonheur de t’avoir vue naître,605
pour ce siècle ! Quelle fiertéde t’avoir engendrée, pour tes parents !
Aussi longtemps que les fleuves iront à la mer,que l’ombre des montagnes
dansera autour des valléesque le ciel fera paître ses étoiles,
toujours tu seras honorée,et ton nom et tes mérites demeureront,
quelle que soit la terre qui m’appelle. »Ayant ainsi parlé, à son ami610
Ilionée il tend sa main droite,et la gauche à Séreste,
et puis les autres, le vaillant Gyaset le vaillant Cloanthe.
Stupéfaite d’abord par son apparitionfut la Sidonienne, Didon,
par le malheur ensuite du héros, si grand,et c’est ainsi, prenant la parole, qu’elle dit :
« Mais, fils d’une déesse, parmi des périlssi grands, quel est donc ce malheur615
qui te poursuit ? Quelle force dans un paysde sauvages t’oblige à accoster ?
Tu es bien cet Énéeque pour le Dardanien Anchise,
la bonne Vénus en Phrygieenfanta près des eaux du Simoïs ?
Et pour moi de Teucer je me souviens,arrivant à Sidon,
chassé du pays de son père,il cherchait un nouveau royaume620
avec l’aide de Bélus. Mon père à l’époque,Bélus, sur la fertile
Chypre exerçait ses ravages et,victorieux, la tenait en soumission.
Dès ce temps-là j’ai appris à connaîtrele malheur de la ville
troyenne, ton nom et les rois Pélasges.
Lui-même, un ennemi, du peuple de Teucerfaisait un singulier éloge625
et de l’antique souche de Teucerse voulait être issu.
C’est pourquoi, faites, ô jeunes gens, entrez chez nous !
Moi aussi, la fortune, comme vous,après de nombreuses épreuves,
meurtrie, a voulu finalement m’arrêtersur cette terre.
Ce n’est pas ignorante du malheurque j’apprends à porter secours aux affligés. »630

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.