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Virgile, Énéide I v. 297-417

nouvelle version remuée

mardi 18 mars 2014, par Danielle Carlès

Telles sont ses paroles, et il envoiele fils de Maïa depuis tout en haut
pour que la terre s’ouvre, pour que s’ouvrent les portesdes jeunes citadelles de Carthage
avec hospitalité aux Troyens,éviter que Didon, ignorant le destin,
n’interdise ses frontières. Celui-ci voletraversant l’air profond300
à la nage des ailes. Et filant droitvers la Libye, il atterrit sur son rivage,
et déjà il exécute les ordres, et les Puniques déposent leurs cœurs farouches
par volonté du dieu. Et tout d’abord la reine
reçoit pour les Troyens intentions pacifiqueset pensées bienveillantes.
De son côté le pieux Énée, toute la nuitroulant mille pensées,305
aussitôt que se répand la bonne lumière,décide de sortir
explorer ces lieux inconnus, se demandantle pays que le vent lui a fait aborder,
qui l’habite, car il n’aperçoit que des friches,hommes ou bêtes,
chercher à savoir, puis aux équipagesen faire le rapport.
Les navires, dans un renfoncement boisé,au pied de la caverne,310
encerclés d’arbres et d’ombres mystérieuses,
sont cachés au regard, lui, il se met en route,accompagné du seul Achate,
dans chaque main brandissant un épieuau large fer.
Or sa mère au beau milieu de la forêt vintà leur rencontre,
portant le visage et l’allure d’une jeune fille, et les armes d’une jeune fille315
de Sparte, ou semblable à celle de Thrace,qui éperonne ses chevaux,
Harpalycé, et gagne au volla course contre l’Hèbre.
Car elle avait, selon leur habitude,suspendu aux épaules un arc à sa mesure,
chasseresse, et laisséses cheveux flotter dans le vent,
nue aux genoux, tunique fluidetroussée d’un nœud.320
Et la première : « Oh là, dit-elle, jeunes gens, montrez-moi,
si vous avez vu par hasardpasser dans le coin une de mes sœurs
avec un carquois et vêtuede la peau d’un lynx tacheté,
ou sur la trace d’un sanglier écumant,à le poursuivre de ses cris. »
Ainsi Vénus, et le fils de Vénus ainsiprit la parole :325
« Non, aucune de tes sœurs ne s’est fait entendreou voir de moi,
ô… mais comment t’appeler, jeune fille ?car tu n’as pas l’air d’une
mortelle et ta voix n’a pas un écho humain,ô déesse, c’est ça,
peut-être la sœur de Phébus,ou bien es-tu du sang des nymphes ?
Sois notre chance !Allège, qui que tu puisses être, notre peine,330
et sous quel ciel enfin, en quel coin de la terre
nous nous débattons, apprends-nous.Nous ne connaissons ni les hommes, ni les lieux,
nous allons sans savoir, poussés icipar le vent et les vastes flots.
De nombreuses victimes pour toi aux autelstomberont, immolées par notre propre main. »
Alors Vénus : « Mais non ! Je ne mérite pasun tel honneur !335
Pour les jeunes Tyriennes il est habituelde porter le carquois
et lacer haut sur le molletleurs cothurnes de pourpre.
C’est un royaume punique, ce que tu vois,des Tyriens, une ville d’Agénor,
mais en territoire libyen,un peuple guerrier indomptable.
Le pouvoir, Didon, Tyrienne, l’exerce,qui était partie de sa ville340
fuyant son frère. Longue est l’injustice, longs
les détours, mais je resteraien surface des faits.
Elle avait pour mari Sychée,le plus riche de terres
parmi les Phéniciens, objet, la malheureuse,de son immense amour,
à qui son père l’avait donnée viergeet unie en premières345
noces. Mais le trône de Tyr,son frère l’occupait,
Pygmalion, un vrai scélérat, insurpassableen monstruosité.
Entre eux monte une envie de meurtre. C’est ce dernier qui de Sychée,
l’impie ! devant l’autel et aveugléd’amour de l’or,
en secret par le fer, d’un homme sans méfiancea raison, indifférent à l’amour350
de sa sœur. Son forfait, longtemps il l’a caché,et devant son angoisse,
le misérable, avec beaucoup d’hypocrisie,d’un espoir vain a trompé la femme amoureuse.
Mais voilà, dans son sommeil, qu’apparaît,privé de sépulture, le fantôme
de son époux, relevant son visageà l’étrange pâleur.
L’autel sanglant et son cœur troué par le fer355
il lui fit voir, et sur le crime inaperçudu palais, lui révéla tout.
Puis, de fuir, vite, et quitter pour toujourssa patrie, il la persuade,
et pour aider à son voyage,lui ouvre sous la terre un vieux
trésor, une masse inouïe d’argent et d’or.
Bouleversée, Didon se préparait à fuir,cherchant un équipage.360
On se rassemble, ceux qui avaient une hainemortelle du tyran
ou une peur bleue. Des navires par hasardse trouvaient prêts,
ils les saisissent et les chargent avec l’or.On part, emportant le bien de l’avare
Pygmalion sur la mer.Une femme est le chef de l’aventure.
Ils ont fini par arriver là où tu voismaintenant les immenses365
remparts et, en train de monter, la citadellede la jeune Carthage,
ils en ont acheté le sol,d’où son nom de Byrsa,
autant qu’avec le cuir d’un taureau ils ont puen mesurer le tour.
Mais vous enfin, qui êtes-vous ?De quels rivages venez-vous ?
Où voulez-vous aller ? »Aux questions qu’elle pose, lui,370
soupirant et faisant monter sa voixdu fond de la poitrine :
« Ô déesse, si je voulais reprendredepuis le tout début,
et que tu aies le temps d’écouter le récitde nos épreuves,
avant la fin, mettant un terme à la journéeVesper aurait fermé l’Olympe.
Nous sommes de l’antique Troie,si toutefois aux oreilles des vôtres375
le nom de Troie est parvenu.Charriés en tous sens par les eaux,
le hasard de la tempête en Libyenous a poussé à aborder.
Je suis le pieux Énée.J’ai soustrait aux ennemis mes Pénates
et je les transporte avec l’aide de ma flotte,on me connaît au-dessus de l’éther.
En Italie, je cherche ma patrieet je descends du très grand Jupiter.380
Avec deux fois dix navires, en Phrygiej’ai embarqué prenant la mer,
ma mère déesse montrait la voie,je suivais l’ordre du destin.
Sept à peine, éreintés par les vagues et l’Eurus,me restent.
Moi, étranger, démuni, j’erredans les contrées sauvages de Libye,
repoussé d’Europe et d’Asie. »Une plus longue plainte n’était pas385
supportable, Vénus l’interrompitdans l’expression de sa douleur :
« Qui que tu sois, tu n’es pas, je pense, détestédes dieux célestes, l’air
des vivants, tu le respires, toi qui arrivesauprès de la ville tyrienne.
Continue tout droit simplementet d’ici va jusqu’au seuil de la reine,
car tes amis reviennent à toiet on te rend ta flotte,390
c’est moi qui te l’annonce, entraînée en lieu sûrpar une renverse des Aquilons,
si mes parents n’ont pas perdu leur tempsà m’enseigner l’art des augures.
Regarde, douze cygnes en formation, heureux !
Glissant de sa couche éthéréel’oiseau de Jupiter au grand
ciel les troublait, mais maintenant à terre, longue traîne ordonnée,395
prêts à toucher le sol ou, l’ayant fait,en train d’attendre, on peut les voir.
De même que ceux-là fêtent leur retourdans un strident bruit d’ailes,
qu’ils ont formé un cercle dans le ciel,fait entendre leur chant,
ainsi, pas autrement, tes poupesavec ton jeune peuple
ou sont au port ou en gagnent l’entrée,toutes voiles dehors.400
Continue tout droit simplement,où te mène la route, va, dirige tes pas. »
Elle finit de parler, et en se retournant,sa nuque rose rayonna,
et l’ambroisie, au sommet de sa chevelure,parfum divin,
s’exhala, sa robe coula jusqu’à ses pieds
et sa vraie nature en marchant se révéla,déesse. Mais lui, sa mère,405
dès qu’il la reconnut, comme elle s’enfuyait,avec des cris la poursuivit :
« Pourquoi de ton fils si souvent,cruelle, toi aussi, sous de fausses
figures te joues-tu ? Pourquoide mettre ma main dans ta main
ne m’est pas accordé, et ta vraie voix,l’entendre, et y répondre ? »
Il lui fait ces reproches,puis dirige ses pas vers les remparts.410
Mais Vénus autour des marcheursmit une haie obscure d’air,
d’un épais manteau de brouillardla déesse les habilla
afin qu’on ne pût ni les voir, ni les toucher,
ni leur causer du retard ou leur demanderd’expliquer leur présence.
Elle-même à Paphos s’envole par les airset revoit son lieu de séjour415
avec joie, là où se trouve son temple,ou en cent lieux, importé de Saba,
l’encens brûle aux autels et les fleurs fraîchementtressées embaument.

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