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Virgile, Énéide I v. 124-222

nouvelle version remuée

lundi 10 mars 2014, par Danielle Carlès

Cependant, du bouleversement de la mer,avec son grondement démesuré,
de la tempête frénétiqueNeptune prend conscience, et voit des grands fonds125
les nappes refluer vers la surface,fortement contrarié. Et des abysses,
le Guetteur leva son front serein àla surface des eaux.
Les débris parsemés de la flotte d’Énée,à perte de vue, sur la mer entière,
et les Troyens écrasés par les flots,la débâcle du ciel :
il ne manqua pas, frère de Junon,d’y deviner sa ruse et sa colère.130
Il fait venir à lui l’Eurus et le Zéphyr,puis il leur parle ainsi :
« C’est un grand excès de confiance en vous,pour des représentants de votre espèce !
Voilà que le ciel et la terre,sans ma permission, vents,
vous osez les bouleverser ?les soulever en masses bien trop grandes ?
Je vous… mais plus important est de rétablirl’ordre des flots mouvementés.135
ensuite vous me paierez autrementle prix de votre faute.
Dépêchez-vous de disparaître,et redites ces mots à votre roi :
ce nest pas à lui que l’empire de la meret l’inhumain trident,
c’est à moi, qu’ils sont échus par le sort.Lui, il a ces rochers sauvages,
où se trouvent, Eurus, vos demeures.Qu’il y parade là-bas dans sa cour,140
Éole, et, la prison des vents bien refermée,là-bas y règne en roi ! »
Ainsi dit-il, et en moins de temps que les motsapaise la mer en effervescence,
chasse les amas de nuages,ramène le soleil.
Cymothoé dans le même effort que Tritonappuie sur les aiguilles
de l’écueil, ils dégagent les navires,mais c’est lui qui les soulève avec son trident,145
et il ouvre un passage dans l’immensitédes syrtes et aplanit la mer,
et sur son char avec légèretéglisse à la surface des eaux.
Alors, de même que dans un grand peuple,quand trop souvent est au point d’éclater
la révolte, et que la rage envahit les cœursde la foule anonyme,
que déjà les torches, les pierres volent,quand la folie se met au service des armes,150
s’il se trouve un homme qui en imposepar sa piété et ses mérites,
on l’a vu, on se tait, et on s’arrêtepour écouter, oreilles attentives,
ses mots guident les cœurs et charment les esprits,
de même tout le fracas de la mer retombe,une fois que des eaux
le Guetteur et le Père, sur son char au grand jour155
dirige ses chevaux, et relâche la bride,volant au rythme de leur souple trot.
Épuisés, les Énéades mettent le capsur les côtes voisines,
font grand effort pour les atteindre,et se déroutent sur les rivages libyens.
Il y a un endroit dans une longue baie,une île en fait un port
par la barrière de ses flancscontre quoi toute la houle du large160
se brise et se partage,conduisant à des criques retirées.
De part et d’autre d’immenses parois,deux rocs jumeaux menacent
vers le ciel, et, dans l’ombre des sommets, les larges
eaux abritées se taisent,puis un rideau de forêts frémissantes
au-dessus, l’éminence d’un bois noirà l’ombre mystérieuse.165
Au pied de la façade,une grotte de rochers en surplomb,
à l’intérieur, des eaux douces et des siègesde pierre naturelle,
la demeure des nymphes.Ici, les navires fatigués, nulle amarre
ne les tient, nulle ancre ne les enchaîned’un croc mordant.
C’est là qu’Énée avec sept navires regroupéssur la totalité170
de la flotte va accoster.Dans un immense désir de la terre
ils débarquent, et les Troyens prennent piedsur le sable espéré,
et allongent sur le rivageleurs corps ruisselants d’amertume.
Tout d’abord, avec un silex,Achates fit jaillir une étincelle
et il mit le feu à des feuilles,puis l’entourant de fétus bien secs175
lui donna de quoi se nourrir,et attisa la flamme parmi les brindilles.
Alors de Cérès, abîmée par l’eau,et tout ce qui est utile à Cérès,
ils s’occupent, si épuisés qu’ils soient,récupèrent le grain,
le mettent à sécher aux flammes et le broientsous une pierre.
Énée pendant ce temps grimpe sur le rocher,quêtant le moindre180
point de vue ouvert sur le large :il verrait Anthée, peut-être, l’un que
le vent a malmené, les birèmes phrygiennes,
ou Capys, ou les hautes poupestransportant les armes de Caïcus.
Pas un navire en vue. Sur la grève trois cerfs,
il les aperçoit, se promènent.Tout le troupeau les suit185
derrière, et dans la vallée ils pâturenten colonne étirée.
Il s’arrêta là, et sa mainde l’arc et des flèches rapides
s’empara, les armes que transportaitl’ami fidèle, Achates,
et les chefs en premier, portant, la tête altière,
une ramure de cornes, il abat,et puis la harde, tous190
il les affole à coups de flèche,parmi le bois touffu, harcelant le troupeau.
et ne s’arrête pas avant d’être vainqueurde sept énormes
bêtes étalées par terre,en nombre égal à celui des navires.
De là il regagne le portet fait le partage entre tous les compagnons.
C’est ensuite le tour du vin,dont le bon roi Aceste avait empli les jarres195
sur le rivage de la Trinacrie,offert à ceux qui partaient. Le héros
fait la distributionet calme avec des mots la tristesse des cœurs :
« Ô amis, nous ne sommes pas,non, novices dans le malheur !
Ô nous qui avons connu pire,un dieu y donnera fin aujourd’hui encore !
C’est vous, la rage de Scyllaet le hurlement abyssal200
de l’écueil, qui les avez affrontés,vous, les roches cyclopéennes,
qui les avez connues. Reprenez-vous !La tristesse et la peur,
chassez-les ! Qui sait si un jour cela aussine sera plus qu’un souvenir heureux !
À travers tant de hasards différents,tant de dangers mortels,
nous allons au Latium,ce lieu de repos et de paix que le destin205
nous fait voir : là-bas il est permis que renaissele royaume de Troie.
Ayez patience et gardez-vous pour le bonheur. »
Telles sont les paroles qu’il prononce,torturé d’affreux doutes,
il affiche l’espoir sur son visage,écrase au fond de son cœur la souffrance.
Les hommes s’occupent des proies,préparent le repas.210
Ils arrachent la peau des flancs,mettent la chair à nu.
Les uns découpent des morceaux,et les piquent, pantelants, sur des broches,
sur la grève on place les appareils de bronze,on entretient le feu.
Alors avec un repas ils refont leurs forces,allongés ça et là sur l’herbe,
ils se gorgent de vieux Bacchuset de viandes bien grasses.215
Puis, quand le festin a éliminé la faimet que les plats sont retirés,
ils ont une longue conversation,s’interrogeant sur les amis perdus,
partagés entre l’espoir et la crainte, soit qu’ils les croient vivants
ou à leur dernière heure, et déjà incapablesd’entendre ceux qui les appellent.
Énée surtout, le pieux Énée,et du fougueux Oronte,220
et d’Amycus pleure le sort,et en lui-même encore, le cruel
destin de Lycus, et le vaillant Gyas,et le vaillant Cloanthe.

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