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Virgile, Énéide II v. 268-297 | Le rêve d’Énée

lundi 15 avril 2013, par Danielle Carlès

C’était l’instant où le premier repos pour les pauvres mortels

s’installe et se répand, par un don des dieux reçu avec une immense gratitude.

[270] Mais en rêve, voilà devant mes yeux qu’apparaît Hector accablé de tristesse,

il est là avec moi et il verse des flots de larmes,

on l’a traîné derrière le char, comme ce jour-là, et il est noir de poussière

sanglante, et sur ses deux pieds tuméfiés sont passées les lanières.

Hélas, malheur à moi ! comme il était ! tant de changement depuis

[275] l’Hector qui revient portant les armes prises à Achille,

ou après avoir lancé sur les poupes des Danaens les javelots enflammés des Phrygiens !

sa barbe est sale, ses cheveux aglomérés de sang,

et il a des plaies, les nombreuses plaies reçues autour des remparts

de ses pères. Me mettant à pleurer moi aussi, je me voyais

[280] lui parler le premier, formuler ces mots emplis de tristesse :

« Ô lumière de la Dardanie, ô espoir le plus solide des Troyens,

quel empêchement si grand t’a retenu ? De quels rivages viens-tu,

Hector ? Nous t’attendions. Il y a eu tant et tant de deuils chez les tiens,

tant et tant de souffrances pour les hommes et la ville,

[285] nous sommes fatigués, mais dans quel état te voyons-nous ! Pour quelle indigne raison

ton calme visage est-il défiguré ? pourquoi ces plaies que je discerne ? »

Il ne répond rien, il ne s’arrête pas à mes questions vides de sens,

mais dans un cri violent tiré du fond de sa poitrine :

« Ah, fils d’une déesse, dit-il, fuis, arrache-toi aux flammes !

[290] L’ennemi tient la ville. Troie s’écroule de toute sa hauteur.

C’en est fait de notre patrie et de Priam. Si Pergame par un bras

pouvait encore être défendue, c’est par le mien qu’elle l’aurait été.

Troie te confie ses dieux et ses Pénates.

Prends-les, ils accompagneront ton destin. Recherche pour eux des murs

[295] puissants, que tu fonderas à la fin, après avoir longtemps sillonné la mer. »

Ainsi dit-il, et ses mains m’apportent les bandelettes, la puissante Vesta

et le feu perpétuel pris dans l’intime sacré du sanctuaire.


Lecture avec le texte latin

C’était l’instant où le premier repos pour les pauvres mortels

Tempus erat, quo prima quies mortalibus aegris

s’installe et se répand, par un don des dieux reçu avec une immense gratitude.

incipit, et dono diuom gratissima serpit.

[270] Mais en rêve, voilà devant mes yeux qu’apparaît Hector accablé de tristesse,

270 In somnis, ecce, ante oculos maestissimus Hector

il est là avec moi et il verse des flots de larmes,

uisus adesse mihi, largosque effundere fletus,

on l’a traîné derrière le char, comme ce jour-là, et il est noir de poussière

raptatus bigis, ut quondam, aterque cruento

sanglante, et sur ses deux pieds tuméfiés sont passées les lanières.

puluere, perque pedes traiectus lora tumentis.

Hélas, malheur à moi ! comme il était ! tant de changement depuis

Ei mihi, qualis erat, quantum mutatus ab illo

[275] l’Hector qui revient portant les armes prises à Achille,

275 Hectore, qui redit exuuias indutus Achilli,

ou après avoir lancé sur les poupes des Danaens les javelots enflammés des Phrygiens,

uel Danaum Phrygios iaculatus puppibus ignis,

sa barbe est sale, ses cheveux aglomérés de sang,

squalentem barbam et concretos sanguine crinis

et il a des plaies, les nombreuses plaies reçues autour des remparts

uolneraque illa gerens, quae circum plurima muros

de ses pères. Me mettant à pleurer moi aussi, je me voyais

accepit patrios. Ultro flens ipse uidebar

[280] lui parler le premier, formuler ces mots emplis de tristesse :

280 Compellare uirum et maestas expromere uoces :

« Ô lumière de la Dardanie, ô espoir le plus solide des Troyens,

’O lux Dardaniae, spes O fidissima Teucrum,

quel empêchement si grand t’a retenu ? De quels rivages viens-tu,

quae tantae tenuere morae ? Quibus Hector ab oris

Hector ? Nous t’attendions. Il y a eu tant et tant de deuils chez les tiens,

exspectate uenis ? Ut te post multa tuorum

tant et tant de souffrances pour les hommes et la ville,

funera, post uarios hominumque urbisque labores

[285] nous sommes fatigués, mais dans quel état te voyons-nous ! Pour quelle indigne raison

285 defessi aspicimus ! Quae causa indigna serenos

ton calme visage est-il défiguré ? pourquoi ces plaies que je discerne ? »

foedauit uoltus ? Aut cur haec uolnera cerno ?’

Il ne répond rien, il ne s’arrête pas à mes questions vides de sens,

Ille nihil, nec me quaerentem uana moratur,

mais dans un cri violent tiré du fond de sa poitrine :

sed grauiter gemitus imo de pectore ducens,

« Ah, fils d’une déesse, dit-il, fuis, arrache-toi aux flammes !

’Heu fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis.

[290] L’ennemi tient la ville. Troie s’écroule de toute sa hauteur.

290 Hostis habet muros ; ruit alto a culmine Troia.

C’en est fait de notre patrie et de Priam. Si Pergame par un bras

Sat patriae Priamoque datum : si Pergama dextra

pouvait encore être défendue, c’est par le mien qu’elle l’aurait été.

defendi possent etiam hac defensa fuissent.

Troie te confie ses dieux et ses Pénates.

Sacra suosque tibi commendat Troia penatis :

Prends-les, ils accompagneront ton destin. Recherche pour eux des murs

hos cape fatorum comites, his moenia quaere

[295] puissants, que tu fonderas à la fin, après avoir longtemps sillonné la mer. »

295 magna, pererrato statues quae denique ponto.’

Ainsi dit-il, et ses mains m’apportent les bandelettes, la puissante Vesta

Sic ait, et manibus uittas Vestamque potentem

et le feu perpétuel pris dans l’intime sacré du sanctuaire.

aeternumque adytis effert penetralibus ignem.

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