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Horace, Épodes 5 | L’enfant et les sorcières

mercredi 25 juillet 2012, par Danielle Carlès


mais ô dieux au nom de ce qui régente depuis le
ciel la terre et le genre humain
que signifie ce vilain tumulte ces visages tous
méchants tous fixés sur moi seul
par tes enfants si tu appelas Lucine pour venir
en aide à des enfantements réels
par ce vain ornement de pourpre je t’en supplie
par Jupiter qui le désapprouvera
pourquoi me regardes-tu de ce regard de marâtre
ou de bête féroce touchée du fer
voix tremblante cessant de se plaindre l’enfant
se tint là immobile dépouillé de
ses insignes corps lisse qui aurait pu radoucir
oui les cœurs impies des Thraces
alors Canidia les cheveux entrelacés de petites
vipères tête décoiffée malpropre
ordonne les figuiers sauvages pris aux tombeaux
ordonne les cyprès sépulcraux et
les œufs frottés du sang d’un répugnant crapaud
et la plume d’une strige de nuit
et les herbes venues depuis Iolcos et l’Hibérie
riche en poisons et les os volés
à la gueule d’une chienne famélique qu’on brûle
tout sur les flammes de Colchide
mais Sagana lestement va partout dans la maison
l’arrosant des eaux de l’Arverne
hérissée cheveux dressés comme un oursin de mer
ou comme un sanglier à la charge
aucun remord ne détournait Véia de creuser dans
le sol à la dure bêche gémissant
sous l’effort une fosse à la taille de l’enfant
pour qu’il meure enterré face au
spectacle d’un festin changé deux ou trois fois
au cours d’une longue journée le
visage dégagé du sol comme un nageur qui flotte
sur l’eau en dépassant du menton
ceci afin de lui prélever sa moelle et son foie
desséché pour un philtre d’amour
une fois que se seraient éteintes ses prunelles
rivées sur les aliments défendus
que Folia venue d’Ariminum ne manquait pas à l’
appel femme aux désirs masculins
on le disait on le croyait dans l’oisive Naples
et la moindre ville voisine elle
par des incantations thessaliennes elle arrache
du ciel les étoiles avec la lune
là rongeant furieusement de sa dent noirâtre l’
ongle jamais taillé de son pouce
Canidia qu’a-t-elle dit qu’a-t-elle tu ô de mes
besognes ponctuelles médiatrices
ô Nuit ô Diane régnant sur le silence à l’heure
où s’exécutent les rites secrets
maintenant maintenant avec moi maintenant jetez
votre colère votre divin pouvoir
sur les maisons de mes ennemis c’est l’heure où
cachées dans l’effroi des forêts
les bêtes sauvages s’alanguissent par influence
d’une douce torpeur alors sur ce
vieillard adultère et que tout le monde soit là
pour en rire que les chiennes de
Subure aboient sur lui couvert du meilleur nard
jamais confectionné de mes mains
qu’y a-t-il pourquoi les philtres de la barbare
Médée n’agissent-ils pas qui lui
permirent de fuir vengée de sa rivale arrogante
la fille du grand Créon quand le
manteau cadeau tout imprégné de pus eut emporté
dans les flammes la jeune épouse
pourtant il ne m’a pas échappé une herbe ni une
racine enfouie dans un lieu âpre
le lit sur lequel il dort a bien été frictionné
de l’oubli de toutes mes rivales
ah ah il marche délivré par l’incantation d’une
magicienne d’un savoir supérieur
non Varus des potions ordinaires ô tête vouée à
des flots de larmes ne te feront
pas recourir vers moi ton âme invoquée avec les
mots des Marses ne reviendra pas
je vais durcir mes moyens à toi qui me méprises
je verserai une potion plus dure
et le ciel prendra place au dessous la mer avec
la terre étendue au dessus avant
que tu finisses de brûler de mon amour comme le
bitume brûlant de flammes noires
là l’enfant non plus comme auparavant en douces
paroles pour apitoyer les impies
mais sans bien savoir comment sortir du silence
éclata en imprécations dignes de
Thyeste les poisons n’ont pas de pouvoir sur le
bien et le mal ils ne changeront
pas la puissante loi ni le juste retour du sort
pour les hommes mes malédictions
vous poursuivront une malédiction solennelle ne
peut s’expier par aucune victime
mais par vous mis à mort lorsque j’aurai expiré
la nuit je viendrai à vous Furie
ombre les ongles crochus j’attaquerai au visage
c’est le pouvoir des dieux Mânes
et assis sur vos cœurs angoissés j’en ôterai le
sommeil par l’épouvante dans les
rues d’ici et de là la foule à coups de pierres
vous assommera immondes vieilles
puis loups et oiseaux de l’Esquilin dissiperont
vos membres sans sépulture et ce
spectacle-là mes parents hélas survivants après
moi ne manqueront pas de le voir


Lecture avec le texte latin

mais ô dieux au nom de ce qui régente depuis le

at o deorum quicquid in cælo regit

ciel la terre et le genre humain

terras et humanum genus

que signifie ce vilain tumulte ces visages tous

quid iste fert tumultus ? et quid omnium

méchants tous fixés sur moi seul

uoltus in unum me truces ?

par tes enfants si tu appelas Lucine pour venir

per liberos te si uocata partubus 5

en aide à des enfantements réels

Lucina ueris adfuit

par ce vain ornement de pourpre je t’en supplie

per hoc inane purpuræ decus precor

par Jupiter qui le désapprouvera

per improbaturum hæc Iouem

pourquoi me regardes-tu de ce regard de marâtre

quid ut nouerca me intueris aut uti

ou de bête féroce touchée du fer

petita ferro belua ? 10

voix tremblante cessant de se plaindre l’enfant

ut hæc trementi questus ore constitit

se tint là immobile dépouillé de

insignibus raptis puer

ses insignes [1] corps lisse qui aurait pu radoucir

inpube corpus quale posset impia

oui les cœurs impies des Thraces

mollire Thracum pectora

alors Canidia les cheveux entrelacés de petites

Canidia breuibus inplicata uiperis 15

vipères tête décoiffée malpropre

crines et incomptum caput

ordonne les figuiers sauvages pris aux tombeaux

iubet sepulcris caprificos erutas

ordonne les cyprès sépulcraux et

iubet cupressos funebris

les œufs frottés du sang d’un répugnant crapaud

et uncta turpis oua ranæ sanguine

et la plume d’une strige de nuit

plumamque nocturnæ strigis 20

et les herbes venues depuis Iolcos et l’Hibérie

herbasque quas Iolcos atque Hiberia

riche en poisons et les os volés

mittit uenenorum ferax

à la gueule d’une chienne famélique qu’on brûle

et ossa ab ore rapta ieiunæ canis

tout sur les flammes de Colchide

flammis aduri Colchidis.

mais Sagana lestement va partout dans la maison

at expedita Sagana per totam domum 25

l’arrosant des eaux de l’Arverne

spargens Auernalis aquas

hérissée cheveux dressés comme un oursin de mer

horret capillis ut marinus asperis

ou comme un sanglier à la charge

echinus aut currens aper.

aucun remord ne détournait Véia de creuser dans

abacta nulla Veia conscientia

le sol à la dure bêche gémissant

ligonibus duris humum 30

sous l’effort une fosse à la taille de l’enfant

exhauriebat ingemens laboribus

pour qu’il meure enterré face au

quo posset infossus puer

spectacle d’un festin changé deux ou trois fois

longo die bis terque mutatæ dapis

au cours d’une longue journée le

inemori spectaculo

visage dégagé du sol comme un nageur qui flotte

cum promineret ore quantum extant aqua 35

sur l’eau en dépassant du menton

suspensa mento corpora

ceci afin de lui prélever sa moelle et son foie

exsecta uti medulla et aridum iecur

desséché pour un philtre d’amour

amoris esset poculum

une fois que se seraient éteintes ses prunelles

interminato cum semel fixæ cibo

rivées sur les aliments défendus

intabuissent pupulæ. 40

que Folia venue d’Ariminum ne manquait pas à l’

non defuisse masculæ libidinis

appel femme aux désirs masculins

Ariminensem Foliam

on le disait on le croyait dans l’oisive Naples

et otiosa credidit Neapolis

et la moindre ville voisine elle

et omne uicinum oppidum

par des incantations thessaliennes elle arrache

quæ sidera excantata uoce Thessala 45

du ciel les étoiles avec la lune

lunamque cælo deripit.

là rongeant furieusement de sa dent noirâtre l’

hic inresectum sæua dente liuido

ongle jamais taillé de son pouce

Canidia rodens pollicem

Canidia qu’a-t-elle dit qu’a-t-elle tu ô de mes

quid dixit aut quid tacuit ? O rebus meis

besognes ponctuelles médiatrices

non infideles arbitræ 50

ô Nuit ô Diane régnant sur le silence à l’heure

Nox et Diana quæ silentium regis

où s’exécutent les rites secrets

arcana cum fiunt sacra

maintenant maintenant avec moi maintenant jetez

nunc nunc adeste nunc in hostilis domos

votre colère votre divin pouvoir

iram atque numen uertite

sur les maisons de mes ennemis c’est l’heure où

cachées dans l’effroi des forêts

les bêtes sauvages s’alanguissent par influence

formidulosis cum latent siluis feræ 55

d’une douce torpeur alors sur ce

dulci sopore languidæ

vieillard adultère et que tout le monde soit là

senem quod omnes rideant adulterum

pour en rire que les chiennes de

latrent Suburanæ canes

Subure aboient sur lui couvert du meilleur nard

nardo perunctum quale non perfectius

jamais confectionné de mes mains

meæ laborarunt manus. 60

qu’y a-t-il pourquoi les philtres de la barbare

quid accidit ? cur dira barbaræ minus

Médée n’agissent-ils pas qui lui

uenena Medeæ ualent

permirent de fuir vengée de sa rivale arrogante

quibus superbam fugit ulta pælicem

la fille du grand Créon quand le

magni Creontis filiam

manteau cadeau tout imprégné de pus eut emporté

cum palla tabo munus inbutum nouam 65

dans les flammes la jeune épouse

incendio nuptam abstulit ?

pourtant il ne m’a pas échappé une herbe ni une

atqui nec herba nec latens in asperis

racine enfouie dans un lieu âpre

radix fefellit me locis

le lit sur lequel il dort a bien été frictionné

indormit unctis omnium cubilibus

de l’oubli de toutes mes rivales

obliuione pælicum. 70

ah ah il marche délivré par l’incantation d’une

a a solutus ambulat ueneficæ

magicienne d’un savoir supérieur

scientioris carmine.

non Varus des potions ordinaires ô tête vouée à

non usitatis, Varus, potionibus

des flots de larmes ne te feront

o multa fleturum caput

pas recourir vers moi ton âme invoquée avec les

ad me recurres nec uocata mens tua 75

mots des Marses ne reviendra pas

Marsis redibit uocibus

je vais durcir mes moyens à toi qui me méprises

maius parabo maius infundam tibi

je verserai une potion plus dure

fastidienti poculum

et le ciel prendra place au dessous la mer avec

priusque cælum sidet inferius mari

la terre étendue au dessus avant

tellure porrecta super 80

que tu finisses de brûler de mon amour comme le

quam non amore sic meo flagres uti

bitume brûlant de flammes noires

bitumen atris ignibus

là l’enfant non plus comme auparavant en douces

sub hæc puer iam non ut ante mollibus

paroles pour apitoyer les impies

lenire uerbis impias

mais sans bien savoir comment sortir du silence

sed dubius unde rumperet silentium 85

éclata en imprécations dignes de

misit Thyesteas preces

Thyeste les poisons n’ont pas de pouvoir sur le

bien et le mal ils ne changeront

uenena magnum fas nefasque non ualent

pas la puissante loi ni le juste retour du sort

pour les hommes mes malédictions

conuertere humanam uicem.

vous poursuivront une malédiction solennelle ne

diris agam uos. dira detestatio

peut s’expier par aucune victime

nulla expiatur uictima. 90

mais par vous mis à mort lorsque j’aurai expiré

quin ubi perire iussus expirauero

la nuit je viendrai à vous furie

nocturnus occurram furor

ombre les ongles crochus j’attaquerai au visage

petamque uoltus umbra curuis unguibus

c’est le pouvoir des dieux mânes

quæ uis deorum est manium

et assis sur vos cœurs angoissés j’en ôterai le

et inquietis assidens præcordiis 95

sommeil par l’épouvante dans les

pauore somnos auferam.

rues d’ici et de là la foule à coups de pierres

uos turba uicatim hinc et hinc saxis petens

vous assommera immondes vieilles

contundet obscenas anus

puis loups et oiseaux de l’Esquilin dissiperont

post insepulta membra different lupi

vos membres sans sépulture et ce

et Esquilinæ alites 100

spectacle-là mes parents hélas survivants après

neque hoc parentes heu mihi superstites

moi ne manqueront pas de le voir

effugerit spectaculum.


Ce n’est pas la première tentative en "vers justifiés", mais la deuxième (voir Horace, Épode 4 (Esclave) et isocèle) fois que je ne mets aucune ponctuation ET ne m’autorise aucune coupure de mots. L’exercice en devient singulièrement éprouvant et j’ai déjoué comme j’ai pu les pièges de la traduction. Je n’ai pas réussi partout à rendre un vers par un vers. Je ne recommencerai plus avec une pièce aussi longue (dit-elle). Horace, lui, use du distique désormais familier : sénaire et quaternaire ïambiques.


[1Les enfants de naissance libre - c’est donc le cas ici - portaient une toge (dite "prétexte") ornée d’une large bande de pourpre, analogue à celle des magistrats, qui manifestait leur inviolabilité. L’insigne est la "bulle", une sorte de médaillon d’or ou de cuir qu’ils ont en pendentif autour du cou. La toge prétexte et la bulle étaient quittées après 16 ans, quand l’enfant entrait dans l’âge viril.

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