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Horace, Épodes 2 | Qu’il est heureux loin des affaires

mardi 10 juillet 2012, par Danielle Carlès

« Qu’il est heureux, loin des affaires,
comme les mortels des premiers âges,
celui qui travaille les champs de ses pères, avec ses bœufs à lui,
libre de tout prêt à usure.
On ne le réveille pas, soldat, au son terrible de la trompette,
il ne connaît pas l’horreur de la mer démontée,
et se tient à l’écart du forum et des seuils arrogants
des citoyens puissants.
Le voilà donc à marier les pousses déjà grandes de la vigne
et les hauts peupliers,
il observe au loin, dans un renfoncement de vallée,
les troupeaux vagabonds de bêtes mugissantes
et taille à la serpe les rameaux improductifs
pour en greffer de plus fertiles,
renferme le miel exprimé dans des amphores impeccables
ou tond ses faibles brebis,
ou bien, quand l’Automne lève au-dessus des champs
sa tête ornée de fruits mûrs,
quelle n’est pas sa joie de cueillir des poires greffées
et du raisin qui le dispute à la pourpre
pour les offrir à toi, Priape, et à toi, père,
ô Silvain, gardien des limites.
À plaisir il s’étend parfois sous l’yeuse antique,
parfois dans l’herbe drue,
tandis que coulent les eaux entre les rives élevées,
que chantent les oiseaux plaintivement dans la forêt
et les sources ruisselantes bruissent d’un son
invitant à un sommeil léger.
Mais quand vient l’Hiver, saison où Jupiter tonnant
amène la pluie et la neige,
il débusque ici et là, avec sa meute de chiens, les sangliers impétueux
pour les rabattre dans les pièges dressés sur le passage,
tend des filets à larges mailles sur une perche lisse
pour tromper les grives gloutonnes
ou bien il pose des collets pour attraper un lièvre peureux, une grue
venue de loin, c’est un agréable butin.
Qui n’oublie le souci des maux de l’amour
au milieu de tout cela ?
Et si une chaste épouse prenait part à ce bonheur
en s’occupant de la maison et des enfants chéris,
telle une Sabine ou la femme brûlée de soleil
d’un Apulien vif à l’ouvrage ?
Et elle chargerait le foyer sacré d’un bois coupé de longue date
au retour de son mari fatigué,
elle enfermerait les grasses brebis dans le treillis à claire-voie
pour vider leurs mamelles distendues
et elle tirerait de la précieuse jarre le vin de l’année,
préparerait un repas où rien n’est acheté.
Ah non, les coquillages du lac Lucrin ne me plairaient
pas mieux, ni le turbot, ni les scares
(si, tonnant sur les flots du côté de l’Orient, la tempête
en détournait quelques-uns vers notre mer),
non, un oiseau d’Afrique ne descendrait pas dans mon ventre,
ni un francolin d’Ionie,
plus volontiers que ces olives cueillies sur l’arbre
aux rameaux les plus chargés,
plus que l’oseille amoureuse des prés et la mauve
salutaire pour les douleurs du corps,
ou que l’agnelle tuée aux fêtes du Terme,
que le chevreau arraché au loup.
Et au milieu de ces festins, le plaisir de voir les brebis repues
se hâter vers l’étable,
de voir les bœufs fatigués tirer le soc renversé,
leur cou languissant,
et l’essaim des esclaves nés dans la maison, grande richesse,
installé tout autour des Lares reluisants ! »
C’est Alfius l’usurier qui vient de parler,
déjà, déjà un vrai paysan,
mais il a fait rentrer aux Ides tout son argent
et cherche à le placer pour les Calendes.

Lecture avec le texte latin

"Qu’il est heureux, loin des affaires

Beatus ille qui procul negotiis

comme les mortels des premiers âges,

ut prisca gens mortalium

celui qui travaille les champs de ses pères, avec ses bœufs à lui,

paterna rura bobus exercet suis

libre de tout prêt à usure,

solutus omni fenore

on ne le réveille pas, soldat, au son terrible de la trompette,

neque excitatur classico miles truci,

il ne connaît pas l’horreur de la mer démontée,

neque horret iratum mare,

et se tient à l’écart du forum et des seuils arrogants

forumque uitat et superba ciuium

des citoyens puissants.

potentiorum limina.

Le voilà donc à marier les pousses déjà grandes de la vigne

Ergo aut adulta uitium propagine

et les hauts peupliers,

altas maritat populos,

il observe au loin, dans un renfoncement de vallée,

aut in reducta ualle mugientium

les troupeaux vagabonds de bêtes mugissantes,

prospectat errantis greges,

et taille à la serpe les rameaux improductifs

inutilisque falce ramos amputans

pour en greffer de plus fertiles,

feliciores inserit,

renferme le miel exprimé dans des amphores impeccables

aut pressa puris mella condit amphoris

ou tond ses faibles brebis.

aut tondet infirmas ouis,

ou bien, quand l’Automne lève au-dessus des champs

uel, cum decorum mitibus pomis caput

sa tête ornée de fruits mûrs,

Autumnus agris extulit,

quelle n’est pas sa joie de cueillir des poires greffées

ut gaudet insitiua decerpens pira

et du raisin qui le dispute à la pourpre

certantem et uuam purpuræ

pour les offrir à toi, Priape, et à toi, père,

qua muneretur te, Priape, et te, pater

ô Silvain, gardien des limites.

Siluane, tutor finium.

À plaisir il s’étend parfois sous l’yeuse antique,

Libet iacere modo sub antiqua ilice,

parfois dans l’herbe drue,

modo in tenaci gramine,

tandis que coulent les eaux entre les rives surélevées,

labuntur altis interim ripis aquæ

que chantent les oiseaux plaintivement dans la forêt

queruntur in siluis aues,

et les sources ruisselantes bruissent d’un son

fontesque lymphis obstrepunt manantibus

invitant à un sommeil léger.

somnos quod inuitet leuis.

Mais quand vient l’Hiver, saison où Jupiter tonnant

At cum tonantis annus hibernus Iouis

amène la pluie et la neige,

imbres niuesque comparat,

il débusque ici et là, avec sa meute de chiens, les sangliers impétueux

aut trudit acris hinc et hinc multa cane

pour les rabattre dans les pièges dressés sur le passage,

apros in obstantis plagas

tend des filets à larges mailles sur une perche lisse

aut amite leui rara tendit retia

pour tromper les grives gloutonnes

turdis edacibus dolos,

ou bien il pose des collets pour attraper un lièvre peureux, une grue

pauidum leporem et aduenam laqueo gruem

venue de loin, c’est un agréable butin.

iucunda captat præmia.

Qui n’oublie le souci des maux de l’amour

Quis non malarum quas amor curas habet

au milieu de tout cela ?

hæc inter obliuiscitur ?

Et si une chaste épouse prenait part à ce bonheur

Quodsi pudica mulier in partem iuuet

en s’occupant de la maison et des enfants chéris,

domum atque dulcis liberos

telle une Sabine ou la femme brûlée de soleil

Sabina qualis aut perusta solibus

d’un Apulien vif à l’ouvrage ?

pernicis uxor Apuli,

et elle chargerait le foyer sacré d’un bois coupé de longue date,

sacrum uetustis exstruat lignis focum

au retour de son mari fatigué,

lassi sub aduentum uiri

elle enfermerait les grasses brebis dans le treillis à claire-voie

claudensque textis cratibus lætum pecus

pour vider leurs mamelles distendues

distenta siccet ubera

et elle tirerait de la précieuse jarre le vin de l’année,

et horna dulci uina promens dolio

préparerait un repas où rien n’est acheté.

dapes inemptas apparet,

Ah non, les coquillages du lac Lucrin ne me plairaient

non me Lucrina iuuerit conchylia

pas mieux, ni le turbot, ni les scares

magisue rhombus aut scari

(si, tonnant sur les flots du côté de l’Orient, la tempête

siquos Eois intonata fluctibus

en détournait quelques-uns vers notre mer),

hiems ad hoc uertat mare,

non, un oiseau d’Afrique ne descendrait pas dans mon ventre,

non Afra auis descendat in uentrem meum,

ni un francolin d’Ionie,

non attagen Ionicus

plus volontiers que ces olives cueillies sur l’arbre,

iucundior quam lecta de pinguissimis

sur les rameaux les plus chargés,

oliua ramis arborum,

que l’oseille amoureuse des prés et la mauve

aut herba lapathi prata amantis et graui

salutaire pour les douleurs du corps,

maluæ salubres corpori,

ou que l’agnelle tuée aux fêtes du Terme,

uel agna festis cæsa Terminalibus

que le chevreau arraché au loup.

uel hædus ereptus lupo.

Et au milieu de ces festins, le plaisir de voir les brebis repues

Has inter epulas ut iuuat pastas ouis

se hâter vers l’étable,

uidere properantis domum,

de voir les bœufs fatigués tirer le soc renversé,

uidere fessos uomerem inuersum boues

leur cou languissant,

collo trahentis languido

et l’essaim des esclaves nés dans la maison, grande richesse,

positosque uernas ditis examen domus,

installé tout autour des Lares reluisants !"

circum renidentis Lares."

C’est Alfius l’usurier qui vient de parler,

Hæc ubi locutus fenerator Alfius,

déjà, déjà un vrai paysan,

iam iam futurus rusticus,

mais il a fait rentrer aux Ides tout son argent

omnem redegit Idibus pecuniam,

et cherche à le placer pour les Calendes.

quærit Kalendis ponere.


Distiques : sénaire ïambique et quaternaire ïambique.


Modifié le 21 janvier 2014

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